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flottaient sur le bourdonnement de la foule et, dans les jardins obscurs, sur le doux balancement des massifs ; entre ces jardins et le dos des estrades s’écoulait un flot de peuple, où la criarde humeur du carnaval semblait tempérée par la langueur croissante de la saison.

Selden et son compagnon, ne trouvant pas de place sur les estrades, qui faisaient face à la baie, avaient erré quelque temps parmi les promeneurs, puis découvert un poste avantageux sur le haut parapet d’un jardin, au-dessus de la Promenade. De là ils n’avaient qu’une vue triangulaire de la baie et des jeux étincelants auxquels se livraient les bateaux ; mais la foule, dans la rue, défilait sous leurs yeux et parut à Selden, somme toute, plus intéressante que le spectacle lui-même. Après un moment toutefois, il se lassa d’être ainsi juché, se laissa glisser sur le trottoir, et, seul, poussa jusqu’au premier coin de rue et s’engagea dans cette rue latérale où régnaient le silence et le clair de lune. De longs murs de jardins, que dépassaient des cimes d’arbres, formaient une ligne sombre sur le trottoir ; un fiacre vide se traînait sur la chaussée solitaire : bientôt Selden vit deux personnes émerger de l’ombre, en face de lui, faire signe au fiacre et s’en aller vers le centre de la ville. La lune les atteignit comme elles montaient en voiture : il reconnut Mrs. Dorset et le jeune Silverton.

À la lumière du plus proche réverbère, il consulta sa montre : il était tout près de onze heures. Il prit une rue transversale, et, sans avoir à lutter contre la cohue de la Promenade, il arriva au club élégant qui la domine. Là, dans la clarté d’une table de baccara, où se pressaient les joueurs, il aperçut lord Hubert Dacey, assis avec son éternel sourire fatigué derrière un tas de jetons qui diminuait rapidement. Quand le tas eut été ratissé selon les règles, lord Hubert se leva avec un haussement d’épaules, et, rejoignant Selden, il s’en fut avec lui sur la terrasse déserte du club. Il était maintenant minuit passé, le public des estrades se dispersait, tandis que les longues files de bateaux aux lumières rouges allaient se brisant et s’évanouissant peu à peu sous un ciel où triomphait de nouveau la calme splendeur de la lune. Lord Hubert regarda sa montre :

— Pardieu, j’avais promis de rejoindre la duchesse à souper, à London House ; mais, à l’heure qu’il est, ils doivent être