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même avec moi : je crois, ma parole, qu’elle joue son rôle de reine jusque dans sa chambre, une fois la porte fermée.

» Le pis est, — poursuivit Mrs. Fisher, — qu’elle se figure que tout est de ma faute. Quand les Dorset arrivèrent ici, il y a six semaines, et que l’on mena tant de tapage autour de Lily Bart, Louisa était persuadée, je le voyais bien, que, si elle était remorquée par Lily, et non par moi, elle en serait déjà à trinquer avec toutes les Altesses royales. Elle ne se rend pas compte que c’est à sa beauté que Lily doit tout son succès : lord Hubert m’assure que Lily passe pour encore plus belle maintenant que lorsqu’il l’a connue à Aix, il y a dix ans. Il paraît qu’elle y était prodigieusement admirée. Un prince italien, riche et authentique, voulait l’épouser ; mais, juste au moment critique, un beau-fils de jolie tournure fit son apparition, et Lily fut assez bête pour flirter avec lui pendant que le beau-père prenait toutes ses dispositions pour le mariage. On a prétendu que le jeune homme l’avait fait exprès. Vous imaginez le scandale : il y eut une scène terrible entre les deux hommes, et on commença à regarder Lily d’un si mauvais œil que Mrs. Peniston dut faire ses malles et aller terminer sa cure ailleurs… Elle, pourtant, ne s’est jamais doutée de rien : elle croit, aujourd’hui encore, que les eaux d’Aix ne lui convenaient pas et cite le fait qu’on l’y ait envoyée comme une preuve de l’incompétence des médecins français… Ça, c’est Lily, tout entière, vous savez : elle travaille comme un nègre à préparer le terrain et à faire les semailles ; puis, le jour où elle doit récolter la moisson, elle se lève trop tard ou elle court à un pique-nique.

Mrs. Fisher s’arrêta et contempla d’un air méditatif, la lueur profonde de la mer entre les cactus.

— Il y a des moments, — ajouta-t-elle, — où je pense que c’est pure étourderie… Et d’autres où je pense qu’au fond du cœur elle méprise les choses qu’elle essaye d’obtenir… Et c’est la difficulté de décider là-dessus qui fait d’elle un si intéressant sujet d’étude.

Elle jeta un coup d’œil investigateur sur le profil immobile de Selden, et reprit avec un petit soupir :

— Enfin, tout ce que je peux dire, c’est que je voudrais bien qu’elle me repassât, à moi, quelques-uns des atouts qu’elle