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grande attention à elle, et Bertha ne pouvait supporter d’assister au triomphe de Lily.

Selden ne répliqua pas. Il avait vaguement ouï dire que miss Bart faisait une croisière en Méditerranée avec les Dorset, mais l’idée ne lui était pas venue qu’il pût la rencontrer sur la Riviera, où la saison était virtuellement terminée. Renversé en arrière, il contemplait sans mot dire le filigrane de sa tasse où fumait le café turc, et tâchait de mettre un peu d’ordre dans ses pensées, de voir comment la nouvelle d’un tel voisinage l’affectait réellement. Il avait une puissance de dédoublement qui lui permettait, même à des heures de haute pression émotionnelle, une vue parfaitement claire de lui-même : il fut sincèrement surpris du trouble que lui causait la présence de la Sabrina. Il avait des raisons de croire que ces trois mois d’un travail professionnel très absorbant, succédant au rude choc de sa désillusion, avaient chassé de son esprit toute vapeur sentimentale. Le facteur moral dont il avait entretenu en lui la prédominance était la reconnaissance d’un homme qui a échappé au danger : il était comme un voyageur si heureux de se retrouver en vie après un grave accident que, tout d’abord, à peine s’il a conscience de ses contusions. Maintenant il ressentait soudain la douleur latente ; il reconnaissait qu’en somme il ne s’en était pas tiré sans blessure.


Une heure plus tard, assis à côté de Mrs. Fisher dans les jardins du casino, il s’ingéniait à découvrir de nouvelles raisons pour oublier le dommage subi dans la contemplation du péril évité. Le groupe s’était dispersé avec cette indécision traînante si caractéristique du mouvement mondain à Monte-Carlo, où toutes choses, et les longues heures dorées de la journée, semblent offrir une infinie diversité de moyens à la paresse. Lord Hubert Dacey s’était finalement mis à la recherche de la duchesse de Beltshire ; Mrs. Bry l’avait chargé de cette négociation délicate : s’assurer la présence de cette dame pour le dîner. Les Stepney étaient allés à Nice dans leur automobile, et M. Bry prenait part au match de tir aux pigeons qui accaparait en ce moment ses plus hautes facultés. Mrs. Bry, qui avait une tendance à devenir rouge et à respirer de façon bruyante après le déjeuner, avait obéi aux judicieux conseils de