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poète n’a pas voulu remarquer la gravité, la douceur, la mélancolie, des jardins sans pluie, sans ombre et sans vapeur, où brûlent confusément l’ardeur du soleil, l’ardeur du désir, l’ardeur de la jeunesse ; ce sont les mêmes appels, les mêmes émois, les mêmes extases courtes et élémentaires qui ne s’épuisent, ni ne se satisfont — et je vois bien que je me sers toujours des mêmes mots, mais ce n’est pas tout à fait ma faute. L’inquiétude agrandie du poète s’élance à la recherche de nouveaux objets. Son imagination avide parcourt le temps et l’espace. Voici Venise, une Venise enflammée comme celle de d’Annunzio, si brûlante qu’elle en est insaisissable et qu’il faut s’éloigner de sa chaleur. Voici un soir d’Espagne sentant l’œillet, le poisson cru, la cannelle et le chocolat ; la Hollande, ses ports encombrés de vaisseaux et ses îles bocagères ; voici Constantinople, où peut-être on était faite pour vivre, où l’on eût été si heureuse qu’on n’eût pas chanté ; puis Damas, et ses eaux bruissantes, ses bracelets et ses colliers d’eau qu’on eût si bien tenus contre son cœur ; puis la Perse évoquée dans une suite de poèmes, dont certains (comme le Paysage Persan) sont polis et nets comme des quatrains de Gautier, dont les autres rappellent, avec leur réalisme exact, la grande liberté souple et nuancée des poèmes orientaux. La Grèce classique comparait à son tour : Paris fuyant avec Hélène, Hermione de Sparte, les prêtresses des Panathénées, « filles du chantant Homère », les vaisseaux qui rentrent à Athènes, Pallas Athénè implorée dans une prière qui n’a rien de commun avec celle de Renan. Ce rêve de voyage et de légende colore jusqu’aux paysages familiers. Une pièce admirable, pareille à quelque grande tapisserie à personnages, ou bien à ces fresques italiennes où une suite de tableaux accessoires circulent autour du motif central, peint l’Île-de-France à la fois dans ses aspects et dans son histoire, peuplée de grands hommes, de foules et de monuments. Le poète prend plaisir à anoblir la terre qu’il foule par le souvenir des grandes actions ou des grands hommes qu’elle porta. Il compose, dans leur décor, des biographies sentimentales. Il ressuscite Stendhal à Grenoble, Jean-Jacques aux Charmettes, et Lamartine, comme on l’a déjà vu, dans le « vallon » fameux des Méditations.

L’imagination créatrice du poète a grandement accru ses