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l’œuvre poétique de madame de noailles

confuses ne se sont pas confirmées dans les volumes subséquents, et je n’entends nullement insinuer par là qu’elles manquent de sincérité ou de force, car on sent au contraire à madame de Noailles une âme prête à toutes les générosités ; mais je note qu’elles étaient accidentelles, et sans doute les accidents qui les avaient suscitées ne se sont-ils pas reproduits.

Sous cette seule réserve, on ne trouvera rien dans le Cœur Innombrable qui ne se trouve aussi dans l’Ombre des Jours, qui ne se retrouve encore dans les Éblouissements. Sous des aspects à peine variés les trois livres refléteront la même image. L’accent même change à peine ; les formes de développement, les moyens de rhétorique restent invariables. C’est toujours l’invocation, l’incantation, l’interpellation directement adressée à tout ce qui provoque pour l’instant le soliloque exalté du poète, le soleil, la mer, les étoiles, l’été, le matin ou le soir. Les épithètes et les images, bien que constamment renouvelées, appartiennent aux mêmes catégories d’objets et de mots favoris. Mais qu’on n’en conclue pas que dans le développement poétique de madame de Noailles les Éblouissements ne marquent pas un gain, et même une conquête : l’erreur serait grande. Sans changer d’espèce, et parfois sans changer de forme, un arbre grandit et peut donner des fruits plus beaux.

L’intervalle de quelques années qui a précédé la publication des Éblouissements a, sans le dénaturer, mûri le génie du poète. L’abondance même du recueil, sa profusion, comparée aux formes encore un peu grêles des autres volumes, suffirait à montrer la croissance, l’enrichissement intérieur. Tout a pris de la force et gagné du souffle ; au don s’est ajouté de la maîtrise. Ce recueil à la rigueur pourrait annuler les autres, s’y substituer, comme une hypothèse scientifique plus probable en remplace une autre, tant il est à la fois une continuation et un progrès. On n’y lira rien qui ne soit meilleur ; mais on n’y lira rien qui surprenne. La curiosité naturelle s’y surpasse par sa variété presque illimitée, mais le sentiment qu’elle exprime ou qu’elle évoque demeure fixe et immuable.

Cinquante pièces sur les jardins se distinguent chacune des autres par la différence de l’heure, de l’air, de l’odeur, de la plantation. Mais ce sont toujours les mêmes jardins dont le