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péré pour échapper à l’étroitesse du corps, à l’insuffisance débile des sens, pour sortir enfin de soi-même, pour apaiser ce désir toujours tendu sans possession ni jouissance, par conséquent sans arrêt et sans chute. Elle ne veut pas de repos, d’ailleurs, elle ne veut pas « être tranquille ». Elle sait que la flamme de son désir suffit pour en dessécher l’objet, mais c’est une joie aussi, une joie spirituelle, un « beau plaisir cérébral », que de sentir toute cette ardeur concentrée en elle, comme les rayons solaires dans une lentille, — une joie, dont elle se lassera comme des autres, et qui lui laissera parfois, comme au Moïse de Vigny, la lassitude de son rôle. Le microcosme n’a qu’à s’enfler pour devenir un univers ; porter un cœur comme le sien est aussi lourd que porter un monde. Nous l’entendrons, comme le Prophète accablé, réclamer à son tour le sommeil de la terre. Permettez que je me repose un peu, dira-t-elle,


Délivrée enfin de cette extase,
Ne portant plus le monde à mon cœur attaché…


Mais pourtant, c’est parce qu’il connaît la fragilité précaire de ses émotions que le poète en a voulu fixer l’ardeur éphémère ; c’est pour en immortaliser la force qu’elle a chanté.


 
J’écris pour que, le jour où je ne serai plus,
On sache comme l’air et le plaisir m’ont plu.
… J’ai tenté, pendant de longs printemps,
Avec des phrases parfumées,
De fixer la tiédeur, l’ardeur, le goût flottant
Des choses que j’ai tant aimées.


Elle sait que cet espoir n’est pas supérieur à son génie, et c’est là beaucoup d’orgueil, mais, je le répète encore, cet orgueil n’a rien de littéraire. Cet orgueil n’est que la certitude de la mort, la volonté de survivre, la foi dans l’éternité d’une passion pareille à la passion anonyme et universelle qui la dévore. Elle sait qu’elle ne mourra pas tout entière, que sa puissance d’amour continuera sa route sous le ciel, qu’« un élan ne peut être arrêté tout court ». Le monde ne l’oubliera pas, ce monde qui fut créé pour elle comme Béatrice pour Dante et Laure pour Pétrarque. La mer gardera le goût de sa douleur,