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de son destin. Vraiment, il n’est pas juste d’avoir nourri tant d’ardeurs, tant d’extases, tant d’ambitions pour mourir un jour, comme tous les hommes, pour être soumise au temps et à la destruction. Elle du moins n’aurait pas dû…


Hélas, je n’étais pas faite pour être morte !…


Elle n’était pas faite pour être morte. Elle n’était pas faite pour n’être pas jeune. Il est injuste qu’une vie comme la sienne ne possède pas pour se déployer l’infini de la durée. Il est injuste qu’avant la mort la saveur et la puissance de ses sensations doivent se trouver amoindries. Et voici le point de départ d’un nouveau thème que, depuis la première pièce de l’Ombre des Jours, madame de Noailles aura varié tant de fois. Oui, la jeunesse doit nous fuir un jour, si fort que nous l’appelions une fois disparue. La mort seule entendra notre clameur, viendra nous prendre, par pitié, et Heine avait déjà dit, je crois, que la mort doit sembler facile quand on eut le courage de vieillir. Nous aurons perdu cette jeunesse qui tient le plaisir de vivre dans ses mains, la jeunesse joyeuse, ardente et printanière, qui est tout le jeu de la nature, en qui réside toute la vivacité du désir. Quand la force du désir décroît, tout baisse, tout s’éteint, la lumière même paraît voilée. C’est aussi l’amour qui s’enfuit, c’est l’art, c’est la volupté de la musique, c’est l’amusement du voyage. Connaître encore toutes ces joies, les subir plutôt, sans la jeunesse, garder malgré soi cette vie diminuée, n’avoir plus « l’âge de l’été » ! comment cela se peut-il ?

Et puis, il faut tellement se hâter, tant qu’on est jeune ! Rien n’est plus fugitif que la conscience de la jeunesse. Nous ne nous sentons jamais jeunes dans l’instant présent ; nous nous sentons moins jeunes qu’hier, et plus jeunes que demain. Peut-être qu’hier on pouvait encore attendre ; mais le temps nous menace ; il faut courir en avant de lui. Ainsi naît l’anxiété de saisir, d’aspirer, de retenir le moment qui se dérobe. Cette inquiétude, cette instabilité souffrante, on avait la folie de croire que la vie les apaiserait un peu, mais sans cesse elle les aiguise. Chaque jour, tant qu’on est jeune, l’esprit perçoit avec plus de force, le cœur souhaite avec plus d’ardeur ; chaque jour, la déception s’accroît avec l’intensité multipliée du