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l’œuvre poétique de madame de noailles

peut se dépasser ni se franchir, puisqu’il est la forme immédiate du désir nu, du vouloir-vivre, — d’un amour toujours insatiable, puisqu’il n’est susceptible ni de saisir ni même de fixer son objet.

Comme on ignore, quand on aime, si le bonheur est ce que l’on reçoit ou ce que l’on donne, le poète ne sait plus si le jour lui prête sa splendeur ou la recueille sur son visage. Ces beautés, ces langueurs, ces douceurs complaisantes, sont une volupté qui défont son âme et dont elle va presque mourir. Quelquefois, son contentement sera plus sûr, plus reposé, plus calme, bien-être plutôt que jouissance. C’est une amitié, c’est le bonheur,


Ce bonheur ébloui, que l’on éprouve en songe,
Si candide et si doux,


Mais ce sont là de courts repos, et le plus souvent cette extase est aussi triste que celle des amours impossibles. Il y a des matins où le jardin « fait plus mal encore que la musique », rend plus sensible le chagrin,


… Ce chagrin sans cause
Qui n’est jamais fini…


Il y a des soirs et des nuits où les jardins perfides avivent l’incurable blessure du cœur, et sur toutes les pièces finales des Éblouissements on entendra courir cette plainte lamentable et magnifique.

Il faut songer aussi que l’étreinte de la Nature, nous ne la recevons, ni ne la rendons pour l’éternité, puisque notre vie du moins n’est pas éternelle. Voici donc l’idée de la mort introduite dans ces ardentes bucoliques aussi naturellement, et avec la même intensité tragique, que dans le chant d’amour le plus sensuel. Il faudra mourir un jour, si fort qu’on se soit appuyé à sa vie. Je ne veux point citer les pièces où ce thème est développé avec une puissance particulière ; il remplit l’œuvre entière de madame de Noailles. Jamais on n’avait parlé de la mort avec une langueur si déchirante, car jamais la crainte de la mort n’a exprimé une attache si volontaire à la vie. Elle oppose à la mort inévitable la douce et affreuse résistance d’Iphigénie qui ne peut accepter l’injustice