Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/235

Cette page a été validée par deux contributeurs.
234
la revue de paris

une noix sculptée, un panier de jonc, et la seule nouveauté dans cette offrande, c’est qu’au fond de son panier Criton mettra des prunes. La petite Bittô, s’abandonne aux bras de Criton, mais la voici déjà grave, pâle et triste, et le poète nous explique sa méprise. Ce qu’il fallait pour guérir le désir de Bittô, ce n’était pas « l’étreinte amère d’un chevrier » ; ce n’était pas l’amour d’un homme. L’objet secret de son souhait était « l’air, les fleurs, l’eau farouche… »

 
L’amant qu’il vous fallait, c’était le tendre Été…


Dans l’Utopie de William Morris, News from Nowhere, on voit Ellen, la belle fille qui symbolise l’humanité affranchie, embrasser de ses bras hâlés le tronc des arbres et jusqu’au lichen qui fleurit la ruine d’un vieux mur. « Oh ! oh ! que j’aime la terre, et les saisons, et l’air, et toutes choses, et tout ce qui vit !… » C’est le baiser de Bittô. Et dans toutes les variétés vivantes de la création, le poète ne lui laissera rien oublier. Tous les parfums, toutes les saveurs, toutes les couleurs recevront tour à tour son étreinte. Je fais cette remarque en passant, et je m’en dispenserais volontiers, tant elle est banale, si elle n’était essentielle. Mais comment omettre ici que cet appétit de la nature est servi par un appareil sensoriel d’une acuité et, si l’on peut dire, d’une originalité extraordinaire, par lequel les impressions les plus minutieuses, les plus fugitives sont retenues, aspirées, mélangées avec une finesse et une puissance égales, un appareil tellement sensible en un mot, ou tellement inventif, que chacune de ses pièces peut à la rigueur suppléer aux autres et qu’on voit communément madame de Noailles respirer une forme ou toucher du doigt une odeur.



C’est le baiser de Bittô. Et pourtant, chez madame de Noailles, l’accolade aux choses naturelles n’a pas, ne peut pas garder ce caractère tranquille et cordialement fraternel. Le baiser de Bittô reste un baiser d’amour, et toute l’ardeur, toute la souffrance de l’amour y passent, d’un amour qui ne