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l’œuvre poétique de madame de noailles

clameurs, les mêmes appels, les mêmes extases. Elle confond dans son rêve, et même dans son émotion,

Un moment du désir, un moment de l’été.

Elle s’imaginera parfois que, d’avoir un instant déserté les jardins pour les hommes, quelque chose s’est terni dans l’éclat candide de ses sensations, que son attention, toujours exaltée, va rester désormais distraite, qu’elle n’est plus assez douce et docile pour s’ajuster encore au contact des plantes, des fleurs et des animaux. Nous l’entendrons s’en plaindre à la Nature, et la Nature ne la consoler qu’à demi. Nous la consolerions mieux. Nous lui dirions : « Toujours et partout, vous ne serez que vous-même. » Par une illusion contraire il arrivera que des émotions qu’elle avait faussement rapportées aux hommes ne contiennent finalement pas autre chose que l’appétit du soleil et la jouissance de l’été. Les mêmes thèmes se transposent complaisamment d’un ton à l’autre, les mêmes mots changent indifféremment d’objet ; l’inquiétude et l’angoisse restent semblables. L’âme du poète est renvoyée sans cesse d’un de ses reflets au reflet contraire, comme une flamme qu’on agite entre deux miroirs.

On pourrait opposer, trait pour trait et presque mot à mot, telle pièce des Éblouissements et telle pièce du Cœur innombrable. Voici l’abandon du poète au cœur d’un jardin matinal. Tout paraît s’unir pour la perfection de sa joie, l’azur, l’espace, l’éblouissement des chemins, l’attente des abeilles, le gonflement des prés, les jeux enivrés des oiseaux, — et l’on sent bien qu’ici je n’invente pas les termes ou les épithètes. — Mais une angoisse invincible fait trembler ses genoux et retomber ses bras. Ah ! ce n’est pas au fleuve de l’été qu’il pouvait apaiser l’ardeur pâmée de son rêve.

Ô brûlant Univers, je vais cherchant votre âme,
Qui n’est que dans les yeux et dans la volupté…

Et voici, dans une des pièces les plus connues, et d’ailleurs les plus parfaites, du Cœur Innombrable, voici qu’une jeune fille amoureuse traverse le même décor. La petite danseuse Bittô descend la colline pour rejoindre au bord de l’étang Criton le chevrier. Criton lui a dédié les présents classiques, un fromage,