guide au ciel. Mais moi, je n’ai fait qu’errer seule dans l’éternité vide.
J’ai su que tout désir, tout amour, toute flamme
S’élançait de mon âme et rentrait dans mon âme,
Que mes Dieux sont en moi, qu’ils mourront avec moi… »
Cet isolement splendide doit inspirer naturellement un grand orgueil. La solitude, quand elle n’accable pas, agrandit et exalte ; elle accroît, quand elle n’est pas stérile, la puissance et la joie de la création. Aussi ne convient-il pas, bien que cet exercice soit aisé, de railler l’orgueil de madame de Noailles. Il est tout à la fois la condition et la conséquence du mode d’inspiration lyrique qui lui est propre. Se sentir seul vis-à-vis du monde, et sentir la totalité du monde en soi, être non seulement le compagnon unique, mais l’animateur de la terre, du soleil, des étoiles, se promener en maître dans l’univers déserté comme Robinson Crusoé dans son île, c’est de quoi hausser l’orgueil du poète qu’un tel rôle n’accablera point.
Il faut insister cependant sur cette poésie de la nature, à quoi correspond ce qu’il y a de plus connu et de plus complet dans l’œuvre de madame de Noailles, ce qu’il y a de plus stable dans son goût. La nature, à ses yeux, n’est aucunement inanimée. Elle la personnifie, on pourrait presque dire qu’elle la virilise. Son désir d’être possédée par elle est bien un désir ; son amour est presque un amour charnel. Il y a comme un érotisme lyrique dans ses bucoliques ou ses paysages. Cette inclination est si marquée que l’amour de la nature et l’amour humain lui paraissent présenter une identité dans leur essence, une équivalence, ou même une communauté dans leur expression. Il lui semble qu’on puisse passer de l’un à l’autre, changer l’un pour l’autre, presque à son gré. Nous la verrons tour à tour abandonner les spectacles naturels pour les émotions humaines, y revenir, les quitter encore, et ce seront toujours, dans ces crises et dans leurs intervalles, les mêmes ardeurs, les mêmes