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l’œuvre poétique de madame de noailles

comme un cri sans écho à qui rien ne répond. C’est l’amour dans son essence et qui se suffit par son expression même, l’amour qui n’eut le pouvoir ou le besoin de se fixer sur personne, privé du moins de tous les signes qui révéleraient la présence, la réponse secrète de l’être aimé. Nul poème ne traduisit plus intensément que ceux-là le sentiment de la vie, mais c’est la vie d’un être à qui la conscience de sa propre réalité suffit, qui ne vivrait pas moins s’il était seul vivant au monde, et cette certitude, cette volonté d’exister qui sort du plus intime de sa substance gonfle sa personne sans jamais s’en échapper. Le sentiment de la nature emplit l’œuvre entière, mais c’est une nature qui se contente de germer et de fleurir pour le poète, qui n’est là que pour qu’il la goûte et la respire, qui se répand et s’absorbe dans chacune de ses sensations. Comment s’opposerait-elle à ses passions ou à ses caprices, quand elle n’est que sa créature obéissante, et comme le prolongement de ses membres ou de ses sens ? Ainsi, aux scènes habituelles du lyrisme il manquera toujours un acteur. Le poète reste toujours seul, sans d’ailleurs se croire jamais appauvri par sa solitude. Nul conflit, nul contact avec les réalités extérieures, et ce qu’il exalte ou caresse en lui-même, ce n’est pas ce qui le rejoindrait aux autres hommes, mais ce qui l’en distingue et l’en sépare, ce qui le fait unique, vivant pour soi-même et ne ressemblant qu’à soi.

Je m’excuse d’avoir insisté sur cette explication, qui n’est pas sans quelque obscurité, mais peut-être nous a-t-elle conduit assez près du secret de madame de Noailles. Au reste, c’est ce que madame de Noailles a saisi plus clairement que personne, et par le même détour, c’est-à-dire en se distinguant elle-même des poètes en qui le lyrisme moderne s’est le plus richement exprimé. Elle est allée rêver dans le vallon de Lamartine et, avec plus de précision et de sûreté qu’aucun critique, elle a marqué par quoi la poésie lamartinienne différait de sa propre inspiration. « Mes souffrances, dit-elle à Lamartine, ne sont pas les vôtres, ni mes pensées ; vous n’avez pas connu cette pure ardeur de vie, ce besoin

D’être, d’être toujours et sans fins, d’être, d’être.

« Vous aviez des frères dans le monde et vous cherchiez un