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culier, d’unique, non dans ce qu’elle a de commun et de général. L’aliment de son lyrisme n’est pas ce qui dans chaque être est semblable aux autres êtres, le fonds indivis de sentiment ou de pensée qui supportait, jusqu’à elle, la poésie, aussi bien que la science ou la philosophie, mais bien ce qui dans chaque individu est distinct de tous les autres, la force inexplicable et irréductible qui fait la personnalité.

L’inspiration lyrique s’est toujours ramenée à un nombre limité de thèmes uniformes, et ce qu’il y a d’analogue entre tous ces thèmes, c’est qu’ils posent soit l’accord, soit le conflit d’un des sentiments généraux de l’âme avec une force ou avec un état extérieur. Si fâcheux qu’il soit d’employer hors de propos le vocabulaire philosophique, il sera peut-être permis de dire que toutes les situations lyriques se réduisent soit à une harmonie, soit à une antinomie entre le sujet et l’objet. L’amour, par lui-même et pris en soi, n’est pas proprement un thème lyrique. Ce qui est lyrique, c’est l’accord ou le désaccord de notre amour avec son objet, c’est la joie, ou la souffrance, ou l’attente, ou la déception de l’amour. Le sentiment de la vie, par lui-même et pris en soi, n’est pas un sentiment lyrique. Ce que les lyriques ont chanté, c’est l’interrogation de l’âme devant la vie, c’est son inquiétude ou son effroi, sa confiance avide ou sa peine désabusée. Le sentiment de la nature, par lui-même et pris en soi, n’est pas un sentiment lyrique. Ce qui est lyrique, ici encore, c’est l’imprécation ou l’invocation, la révolte ou l’anathème ; c’est le contraste entre la souffrance du cœur et la placidité des choses, entre la permanence de nos passions et la mobilité de leurs formes, ou bien le rapport inverse, ou tous les rapports que l’on voudra supposer, et dont précisément les romantiques ont varié l’invention avec une si belle fécondité.

Il semble donc qu’il y ait toujours eu quelque chose d’alterné dans le chant lyrique. Le poème lyrique apparaît à l’ordinaire comme un dialogue, dialogue avec l’être aimé, avec la vie, avec la mort, avec le bonheur, avec les puissances naturelles. Et voici qu’en trois volumes de vers, madame de Noailles exhale un long solo où l’on n’entend jamais parler qu’une âme. Il y a là des vers d’amour, sans doute, bien qu’assez rares, mais où il semble que la force du désir s’élance seule,