Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/230

Cette page a été validée par deux contributeurs.
229
l’œuvre poétique de madame de noailles

c’est de Musset que je la verrais proche, un Musset qui ne cherche pas l’esprit, un Musset sans sa grâce allante et sa plaisanterie désinvolte, sans son penchant oratoire, sans toute sa facilité française, un Musset plus âpre, plus chargé, plus fiévreux, plus complexe, au sang plus lourd, je voudrais pouvoir dire un Musset barbare.



Il faut cependant marquer, dès à présent, quelques différences essentielles. Sans doute, le lyrisme de Lamartine, de Musset ou même de Hugo est un lyrisme purement personnel. Mais si le poète se chante lui-même, il ne chante pas pour lui seul. Le poème, sorti d’un homme, vaut pour tous les hommes. Les souffrances, les inquiétudes, les espérances qu’il exprime ne sont pas particulières au poète, elles sont le lot commun de tous les hommes, au moins de toute une génération humaine, et le cri qu’il pousse se multipliera dans un innombrable écho. Toutes les idées qui ont alimenté le lyrisme romantique sont des idées humaines au sens le plus général du mot. Qu’il s’agisse de la position de l’homme vis-à-vis de la nature, de la société, de la religion, de la destinée, du bonheur, ces problèmes se posent également pour toutes les pensées. Ils intéressent l’homme abstrait, l’intelligence en ce qu’elle a de nécessaire et d’universel, ils intéressent l’âme humaine. Le rêve romantique, le chant romantique, même en ce qu’ils eurent de plus spécial ou de plus neuf, furent le rêve et le chant communs d’un moment de l’humanité. Et le mal romantique, s’il ne fut pas comme on l’a dit le mal d’un siècle, fut du moins celui d’une génération.

C’est à bon droit que les romantiques ont reconnu et proclamé si fièrement la fonction représentative du poète. Vraie ou fausse en son essence, la théorie était convenable à leur cas. Ils ne chantaient que leur souffrance ou leur joie, mais en eux la foule muette des hommes trouvait sa voix. Rien de pareil chez madame de Noailles. Sa poésie sort d’elle-même et retombe en elle, comme l’élan du jet d’eau dans le bassin. Son éternel sujet, c’est sa personne, mais dans ce qu’elle a de parti-