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frappe par la richesse et parfois par la recherche verbale, et, dans la fréquence des images, parfois même dans leur choix ou dans leur construction, on pourrait retrouver quelque trace apparente de l’influence parnassienne. Mais les Parnassiens considéraient l’art poétique comme une technique laborieusement conquise, à laquelle le don premier et l’inspiration libre ne suffisent pas, et surtout, par réaction contre la sentimentalité romantique, ils exigeaient que le poète se séparât de son vers autant que le sculpteur de son marbre, le travaillât comme une matière étrangère, de sorte que la triple loi de leur esthétique fut d’obtenir des œuvres savantes dans leur procédé, parfaites dans leur forme, entièrement objectives par leur signification. Or il est certain que, dans ses plus beaux poèmes, dans ceux même que nous aurons le droit de tenir pour parfaits, madame de Noailles ne fut jamais embarrassée par l’inquiétude technique de la perfection. Il est certain que sa poésie n’est pas une poésie savante, mais une poésie ingénue et abandonnée, qu’elle ne tient pas en défiance la merveilleuse facilité de son inspiration, mais qu’elle s’y donne et s’y livre comme la prophétesse à l’esprit sacré, qu’elle n’est pas le maître laborieux qui a conquis l’un après l’autre tous les secrets difficiles de l’art, mais tout à la fois un écolier et un maître, un écolier de génie qui a deviné avant d’avoir su. Il est certain qu’on ne vit jamais d’inspiration moins objective que la sienne, que jamais confidence poétique ne fut plus spontanée, plus libre, plus complète, que non seulement elle vit tout entière dans son œuvre, mais que nous la sentons présente, mystiquement présente dans le moindre mot qu’elle écrit. Elle est l’unique sujet de ses poèmes. Tous les moments de son inspiration émanent d’elle, sont elle-même, et, depuis les premiers romantiques, que le lyrisme avait enivrés comme une liberté nouvelle, depuis Lamartine ou Musset, jamais le flot de la poésie intérieure ne s’était répandu aussi librement.

Ce retour au romantisme fut, il y a dix ans, le caractère évident du mouvement poétique. Ce qu’on a nommé l’humanisme ne fut qu’un romantisme rajeuni. Mais chez les plus distingués des humanistes l’influence verlainienne restait sensible, et madame de Noailles en est restée, à ce que je crois, totalement exempte. Elle n’est guère qu’une romantique, et