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Lily leva la tête, s’animant un peu à cet appel. Même à travers le sombre tumulte de ses pensées, le cliquetis des millions de M. Rosedale tintait de façon plutôt séduisante. Oh ! si elle en avait seulement assez pour annuler sa misérable dette !… Mais l’homme qu’elle voyait derrière ces millions devenait de plus en plus répugnant, à la lumière que faisait l’approche attendue de Selden. Le contraste était trop grotesque : elle eut peine à réprimer le sourire qu’il provoquait. Elle décida que la franchise serait préférable.

— Si c’est à moi que vous faites allusion, M. Rosedale, je suis très reconnaissante… très flattée… mais je ne pense pas avoir rien fait pour vous induire à croire…

— Oh ! si vous voulez dire que vous n’êtes pas follement amoureuse de moi, il me reste assez de bon sens pour m’en apercevoir… Et je ne vous ai pas parlé non plus comme si vous l’étiez… Je sais, j’imagine, le genre de discours à employer dans ces cas-là… Je suis diablement parti sur vous… voilà la vérité, à peu près… et je viens de vous soumettre, en homme d’affaires, un simple exposé des conséquences. Vous n’êtes pas très entichée de moi… pour le moment… mais vous aimez le luxe, les choses de style, le plaisir, et, par-dessus tout, vous détestez les soucis d’argent. Vous aimez à vous amuser, sans avoir à régler la note : eh bien, ce que je vous propose, c’est de pourvoir à vos amusements et de m’occuper de l’addition.

Il s’arrêta, et elle répliqua avec un sourire glacial :

— Vous faites erreur sur un point, M. Rosedale : je suis toujours prête à payer les plaisirs que je prends.

Elle parlait ainsi pour lui faire voir que, si ses propos, à lui, impliquaient une sorte d’épreuve, une allusion à ses affaires privées, elle était toute prête à prendre les devants et à les réfuter. Mais, s’il reconnut son intention, il n’en fut pas déconcerté ; il poursuivit sur le même ton :

— Je ne voulais pas vous offenser ; excusez-moi si j’ai parlé trop net. Mais pourquoi n’êtes-vous pas franche avec moi ?… pourquoi cette espèce de bluff ?… Vous avez eu, vous le savez bien, des moments de gêne… des moments de gêne terrible… et, à mesure qu’une jeune fille avance en âge, et que le monde continue à marcher, les choses quelle désire, avant même qu’elle s’en aperçoive, peuvent la dépasser pour ne plus