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les pressa contre elle.) Essayez de me le dire… cela éclaircira votre pauvre tête… Écoutez… vous dîniez chez Carry Fisher…

Gerty s’arrêta et ajouta dans un éclair d’héroïsme :

— Lawrence Selden est parti d’ici pour vous retrouver…

À ces mots la figure de Lily s’adoucit : de l’angoisse renfermée elle passait à la misère avouée d’un enfant. Ses lèvres tremblèrent, et ses yeux s’agrandirent sous les larmes.

— Il est allé me retrouver ?… Et je l’ai manqué !… Oh ! Gerty, il a essayé de me venir en aide. Il m’avait bien dit… il m’avait prévenue, il y a longtemps… il prévoyait que je deviendrais haïssable à mes propres yeux !

Le nom de Selden, comme Gerty l’observait avec un serrement de cœur avait ouvert dans l’âme desséchée de son amie des sources de pitié pour elle-même, et, larme par larme, Lily épancha le trop-plein de sa douleur. Elle s’était laissé tomber de biais dans le grand fauteuil de Gerty, la tête enfouie à l’endroit où s’était appuyée tout à l’heure celle de Selden, dans une beauté d’abandon qui rappela aux sens endoloris de Gerty tout l’inévitable de sa propre défaite. Ah ! point n’était besoin chez Lily de propos délibéré pour lui dérober son rêve ! Il suffisait de regarder cette grâce inclinée pour y voir une force naturelle, pour reconnaître que l’amour et le pouvoir appartiennent à celles de cette race, comme le renoncement et l’altruisme demeurent le lot de celles que les premières dépouillent. Mais, si l’enivrement de Selden semblait une nécessité fatale, l’effet produit par son nom secoua d’une dernière transe la fermeté de Gerty. Les hommes passent par des amours surhumaines et leur survivent : c’est là justement ce qui réduit leur cœur aux joies humaines. Gerty eût accueilli avec bonheur la tâche de guérir Selden : comme elle eût volontiers apaisé le patient et l’eût ramené à subir l’existence ! Mais Lily, en se trahissant, lui enlevait ce dernier espoir. La jeune mortelle sur la rive est sans recours contre la sirène éprise de sa proie : de telles victimes, le flot ne les rapporte qu’inanimées de leur aventure.

Lily, d’un bond, se mit debout et saisit fortement Gerty :

— Gerty, vous le connaissez… vous le comprenez… dites-moi… si j’allais à lui, si je lui racontais tout… si je lui disais : « Je suis foncièrement mauvaise… j’ai besoin d’admiration,