Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/113

Cette page a été validée par deux contributeurs.

leuse… orgueilleuse !… mais maintenant je suis à leur niveau…

Des sanglots la secouèrent ; elle y céda, courbée comme un arbre sous un orage sec.

Gerty était toujours à genoux auprès d’elle, attendant, avec la patience née de l’expérience, que cette rafale de misère eût passé, lui rendant l’usage de la parole… Elle avait d’abord songé à quelque choc physique, à quelque péril couru, dans les rues, encombrées, puisqu’elle présumait que Lily revenait de chez Carry Fisher ; mais elle voyait maintenant que les centres nerveux avaient subi une autre sorte d’atteinte, et son esprit tremblant reculait devant les conjectures.

Les sanglots de Lily s’arrêtèrent :

— Il y a de mauvaises filles dans vos taudis. Dites-moi… est-ce qu’elles se relèvent jamais ? Peuvent-elles oublier, et redevenir ce qu’elles étaient auparavant ?

— Lily ! Ne parlez pas ainsi… vous rêvez…

— Ne vont-elles pas toujours de mal en pis ? Impossible de revenir en arrière… votre « moi » d’autrefois vous rejette et vous chasse.

Elle se dressa, elle étira ses bras, comme dans un excès de lassitude physique :

— Allez vous coucher, chérie ! Vous avez beaucoup à travailler, et vous vous levez de bonne heure. Moi, je veillerai ici, près du feu, et vous me laisserez la lumière… et votre porte ouverte. Tout ce dont j’ai besoin, c’est de vous sentir près de moi.

Elle posa les deux mains sur les épaules de Gerty, avec un sourire qui était comme un lever de soleil sur une mer jonchée d’épaves.

— Je ne puis vous laisser, Lily. Venez vous coucher dans mon lit. Vous avez les mains gelées… il faut vous déshabiller et vous réchauffer… (Gerty s’arrêta avec une componction soudaine.) Mais Mrs. Peniston ?… il est plus minuit ! Que va-t-elle penser ?

— Elle se couche sans m’attendre. J’ai une clef. Cela n’a pas d’importance. Je ne peux pas y retourner.

— Ce n’est pas nécessaire : vous allez rester ici. Mais il faut que vous me disiez où vous avez été. Écoutez, Lily… cela vous fera du bien de parler !… (Elle reprit les mains de miss Bart et