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Elle se dressa brusquement, sortant de son apathie, et s’accrocha à Gerty, dans un nouvel accès de terreur.

— Oh ! Gerty, les Furies… vous connaissez le bruit de leurs ailes… quand on est seule, la nuit, dans l’obscurité ?… Mais vous ne pouvez savoir… il n’y a rien pour vous rendre les ténèbres épouvantables, à vous !…

Ces mots, se projetant sur les heures que Gerty venait de vivre, lui arrachèrent un faible murmure de dérision ; mais Lily, sous l’éclat de sa propre misère, était aveugle à toute autre chose.

— Vous me permettez de rester ?… Je n’aurai plus peur quand le jour viendra… Est-il tard ? La nuit est-elle presque passée ? Ce doit être abominable de ne pouvoir dormir… chaque objet semble se dresser auprès du lit et vous dévisage…

Miss Farish s’empara de ses mains errantes.

— Lily, regardez-moi ! Quelque chose est arrivé… un accident ?… Vous avez eu peur… qu’est-ce qui vous a effrayée ?… Dites-moi… si vous le pouvez… un mot ou deux… que je puisse vous aider.

Lily secoua la tête :

— Je n’ai pas eu peur : ce n’est pas le mot… Pouvez-vous imaginer que vous vous regardez dans votre glace, un matin, et que vous vous voyez défigurée ?… que vous apercevez quelque hideux changement survenu pendant votre sommeil ? Eh bien, voilà l’effet que je me fais à moi-même… Je ne peux pas supporter de me voir dans mes propres pensées… Je hais la laideur, vous le savez… je m’en suis toujours détournée… Mais je ne peux pas vous expliquer… vous ne comprendriez pas.

Elle leva la tête et ses yeux rencontrèrent la pendule :

— Comme la nuit est longue !… Et je sais que je ne pourrai pas dormir demain… Quelqu’un m’a dit que mon père demeurait souvent des nuits sans dormir et pensant à des choses horribles… Et il n’était pas méchant, il n’était que malheureux… Et je vois maintenant combien il a dû souffrir, étendu seul avec ses pensées !… Mais moi, je suis mauvaise… je suis une mauvaise fille… toutes mes pensées sont mauvaises… J’ai toujours eu de mauvaises gens autour de moi… Est-ce une excuse ?… Je croyais pouvoir diriger ma vie… j’étais orgueil-