verrait le lendemain, à quatre heures ?… À son impatience l’attente semblait indéfinie, et, à moitié honteux de son impulsion, il se pencha vers Mrs. Fisher pour lui demander, comme la musique cessait, si miss Bart n’avait pas dîné chez elle.
— Lily ?… Elle vient de partir… Elle avait à aller je ne sais plus où… N’est-ce pas qu’elle était merveilleuse hier au soir ?
— Qui cela ? Lily ? — demanda Jack Stepney, des profondeurs d’un fauteuil voisin. — Vraiment, vous savez, je ne suis pas prude, mais quand une jeune fille en arrive à se montrer comme si elle se mettait aux enchères… Sérieusement, j’ai songé à en parler à ma cousine Julia.
— Vous ne saviez pas que Jack était devenu notre censeur mondain ? — dit Mrs. Fisher à Selden, en riant.
Et Stepney bredouilla, au milieu de la risée générale :
— Mais elle est ma cousine, que diable, et… quand un homme est marié… Town Talk ne parlait que d’elle, ce matin.
— Oui, et c’était amusant à lire, dit M. Ned Van Alstyne, caressant sa moustache pour y dissimuler un sourire. — Acheter ce sale journal, moi ? non pas : quelqu’un me l’a montré… Mais j’avais déjà entendu raconter ces histoires… Quand une jeune fille est aussi jolie que cela, il vaut mieux qu’elle se marie : alors on ne pose plus de questions. Dans notre société imparfaitement organisée, on n’a pas encore pris de dispositions en faveur de la jeune femme qui réclame les privilèges du mariage sans en assumer les charges.
— Eh bien, mais… si je ne me trompe… Lily est sur le point de les assumer en la personne de M. Rosedale ! — dit Mrs. Fisher en riant.
— Rosedale… juste ciel ! — s’écria Van Alstyne, laissant tomber son lorgnon. — Stepney, ça, c’est votre faute : c’est vous qui nous avez imposé cette brute !
— Ah ! que le diable vous emporte ! nous n’épousons pas Rosedale, dans notre famille ! — protesta faiblement Stepney.
Mais sa femme, qui était assise, dans une magnifique et accablante toilette nuptiale, à l’autre bout de la pièce, l’arrêta net, d’une réflexion judicieuse :
— Dans la situation de Lily, c’est une erreur que d’avoir des ambitions trop hautes.