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— Elle n’est vraiment elle-même qu’avec très peu de personnes ; vous êtes l’une d’elles, — disait Selden.

Et encore :

— Soyez bonne pour elle, Gerty, n’est-ce pas ?

Et :

— Elle est capable de devenir tout ce qu’on la croit être : vous l’aiderez, n’est-ce pas, en ayant d’elle la meilleure opinion ?

Les mots frappaient dans le cerveau de Gerty comme le son d’un langage qui semble familier à distance, mais qui, de près, se trouve inintelligible. Il était venu pour lui parler de Lily, — voilà tout ! Il y avait eu, à la petite fête qu’elle avait préparée pour lui, une tierce personne, et cette tierce personne lui avait pris sa place… Elle essayait de suivre ce qu’il disait, de tenir son rôle dans la conversation ; mais tout cela avait aussi peu de sens que le mugissement des vagues pour celui qui se noie, et, comme celui qui se noie, elle éprouva que sombrer ne serait rien auprès de la peine qu’il fallait prendre pour se maintenir à flot.

Selden se leva, et elle poussa un profond soupir, songeant que bientôt elle pourrait s’abandonner aux vagues bénies.

— Chez Mrs. Fisher ?… Vous dites qu’elle y dînait ?… Il doit y avoir de la musique ensuite ; je crois bien que j’ai reçu l’invitation… (Il jeta un coup d’œil sur l’absurde petite pendule rose qui marquait cette heure affreuse pour Gerty…) Dix heures un quart ?… Je pourrais y passer maintenant : les soirées sont toujours amusantes chez Mrs. Fisher… Je ne vous ai pas fait trop veiller, Gerty ? Vous avez l’air fatiguée… J’ai parlé à tort et à travers et je vous ai ennuyée…

Et, dans le débordement inaccoutumé de ses sentiments, il déposa un baiser de cousin sur sa joue.


Dans l’atelier de Mrs. Fisher, à travers la fumée des cigares, une douzaine de voix accueillirent Selden. Une chanson était commencée lorsqu’il entra, et il se laissa tomber sur un siège près de la maîtresse de maison, cherchant des yeux miss Bart. Mais elle n’était pas là, et cette découverte lui donna un choc hors de toute proportion avec l’insignifiance de la cause : le billet qu’il avait dans sa poche ne l’assurait-il pas qu’il la