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leux), il lui dit qu’elle devrait se marier : il était d’une humeur à marier l’univers entier… Comment ! elle avait fait elle-même la crème au caramel ? C’était un péché que de garder de tels talents pour soi… Il réfléchit avec un mouvement d’orgueil que Lily savait garnir ses chapeaux : — elle le lui avait dit, le jour de leur promenade à Bellomont.

Il ne parla pas de Lily jusqu’après le dîner. Durant le petit repas, il maintint la conversation sur son hôtesse, qui, toute palpitante d’être le centre de ses observations, brillait aussi rose que les abat-jour qu’elle avait fabriqués pour la circonstance. Selden prit un intérêt extraordinaire à ses arrangements de ménage, la complimenta sur l’habileté avec laquelle elle avait tiré partie de chaque pouce de sa petite demeure, lui demanda comment elle s’organisait pour donner parfois une après-midi à sa bonne, apprit qu’on peut improviser de délicieux dîners sur un réchaud, émit des généralités profondes sur les charges qu’entraîne une grande maison.

Lorsqu’ils furent de nouveau dans le petit salon, où ils tenaient tout juste comme des pièces dans un jeu de patience, lorsqu’elle eut préparé le café, et qu’elle l’eut versé dans des tasses en « coquille d’œuf », qui lui venaient de sa grand’mère, l’œil de Selden, tandis qu’il se penchait en arrière, baignant dans la chaude atmosphère parfumée, tomba sur une photographie récente de miss Bart, et la transition désirée s’opéra sans effort. « La photographie n’était pas mauvaise… mais comment la fixer, elle, telle qu’elle était hier au soir !… » Gerty fut de cet avis : jamais elle ne l’avait vue aussi rayonnante. « Mais la photographie pouvait-elle saisir cette lumière ? Il y avait un nouvel air sur son visage, quelque chose de différent… » Oui, Selden convenait qu’il y avait quelque chose de différent… Le café était si exquis qu’il en demanda une seconde tasse : un tel contraste avec la drogue aqueuse du cercle !… « Ah ! les pauvres célibataires, réduits à la nourriture impersonnelle du cercle, ou à la cuisine également impersonnelle du dîner en ville !… Un homme qui vivait en garni renonçait à la meilleure part de l’existence… » Il dépeignit la solitude sans saveur du repas de Trenor, et éprouva un moment de compassion pour le personnage… « Mais, pour en revenir à Lily… » Et il y revint encore et encore, questionnant, conjecturant,