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trainte. Ils ne s’étaient pas revus depuis leur promenade du dimanche après-midi, à Bellomont ; et cet épisode était encore si vivant en elle qu’elle pouvait à peine admettre qu’il lui fût moins présent. Mais l’abord de Selden n’exprima rien de plus que la satisfaction que toute jolie femme s’attend à voir briller dans les yeux d’un homme ; et cette constatation, bien que désagréable pour sa vanité, était rassurante pour ses nerfs. Entre le soulagement d’avoir échappé à Trenor et la vague appréhension de se rencontrer avec Rosedale, c’était un plaisir que de se reposer un moment sur le sentiment de mutuelle et parfaite intelligence que les manières de Lawrence Selden lui donnaient toujours.

— Ça, c’est de la chance ! — dit-il en souriant. — Je me demandais s’il y aurait moyen de vous dire un mot avant que le train spécial nous enlève… Je suis venu avec Gerty Farish, et je lui ai promis de ne pas lui laisser manquer le train, mais je suis sûr qu’elle est encore absorbée dans la contemplation des cadeaux : elle y puise des consolations sentimentales. Elle paraît en considérer le nombre et la valeur comme une preuve de l’affection désintéressée des parties contractantes.

Il n’y avait pas le moindre embarras dans sa voix ; et, tandis qu’il parlait, s’appuyant au montant de la porte-fenêtre et posant les yeux sur elle avec l’air de goûter sa grâce en toute franchise, elle eut un petit frisson de regret à voir qu’il était retourné, sans effort, au point où ils en étaient avant leur dernier entretien. Sa vanité fut piquée, à la vue de cet immuable sourire. Elle aspirait à être pour lui quelque chose de plus qu’un morceau de beauté vivante, une distraction passagère de son œil et de son cerveau ; et cette aspiration se fit jour dans sa réponse :

— Ah ! — dit-elle, — j’envie à Gerty ce pouvoir qu’elle a de revêtir de romanesque tous nos vilains et prosaïques arrangements ! Je ne suis jamais parvenue à reconquérir ma propre estime depuis le jour où vous m’avez montré la pauvreté et l’insignifiance de mes ambitions.

À peine eut-elle prononcé ces paroles qu’elle en vit clairement toute la maladresse. Il semblait que ce fût son destin de toujours apparaître à son désavantage devant Selden.

— Je croyais, au contraire, — répliqua-t-il légèrement, —