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LES OPÉRATIONS AUTOUR DE CASABLANCA

travaux du port et l’établissement à Casablanca d’un poste de télégraphie sans fil. Depuis quelques mois leur fanatisme avait été aiguisé par les prédications des disciples du sorcier Ma el Aïnin. Cavaliers brillants et infatigables, tireurs habiles, fiers de leur indépendance reconquise et de leur force nouvelle, ils brûlaient de nous chasser de la ville ou d’acquérir en mourant sous les coups des infidèles les splendeurs du paradis promises par le Prophète.

La répression qu’on allait exercer sur ces tribus devait être assez forte pour assurer définitivement notre supériorité morale à leur égard et les obliger toutes à venir implorer l’aman, c’est-à-dire se rendre à merci en fournissant les garanties que nous exigerions d’elles. Ce but n’était pas aisé à atteindre : l’adversaire était belliqueux et s’apprêtait à une vigoureuse résistance. Les Marocains s’avouent difficilement vaincus ; pour qu’ils acceptent l’idée de la défaite, il ne suffit pas que l’adversaire remporte des succès tactiques, amenant des résultats partiels. La perte d’une position ou du champ de bataille, la déroute même ne les décourage pas. Il faut que le désastre se manifeste par des résultats tangibles et concrets : pertes d’hommes ou de biens.

Dans un voyage qui m’a conduit, il y a quatre ans, à travers les montagnes qui s’étendent au nord de Taza, j’ai pu juger, par mes propres yeux, de la manière dont les tribus marocaines jugent l’issue d’un combat. C’était au moment des opérations du prétendant contre l’armée chérifienne que commandait le ministre de la guerre Menebbi. J’arrivai un soir dans un village de la tribu kabyle des Mtalsa. Je m’étais à peine installé que des imprécations stridentes me firent sortir de ma cabane. Quelques cavaliers armés en guerre venaient de déposer devant une maison un blessé originaire du village ; ils affirmaient avoir mis en fuite l’ennemi ; mais on refusait de les croire, on leur demandait de montrer les têtes de ceux qu’ils prétendaient avoir vaincus, et les prises qu’ils avaient faites : pourquoi revenaient-ils les mains vides ? Fuyant les insultes des femmes et des enfants et les regards méprisants des vieillards, les cavaliers reprirent le chemin de la plaine où était campée l’armée. Lorsque, quelques jours plus tard, j’atteignais