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s’offrir à sa demande. Comment c’était arrivé, elle ne s’en rendait pas compte encore. Parfois elle pensait que c’était parce que Mrs. Peniston avait été trop passive ; puis elle craignait de ne pas l’avoir été assez elle-même. Avait-elle montré une excessive ardeur de vaincre ? avait-elle manqué de patience, de souplesse et de dissimulation ? Qu’elle s’accusât ou qu’elle se disculpât de ces erreurs, cela ne changeait en rien le total de sa désastreuse opération. Des filles plus jeunes et plus ordinaires qu’elle s’étaient mariées, par douzaines, et elle avait vingt-neuf ans, et elle était encore miss Bart.

Elle commençait à avoir des accès de colère et de révolte contre la destinée, des moments où elle brûlait d’abandonner la course et de se faire une vie indépendante. Mais quel genre de vie pourrait-ce être ? Elle avait à peine assez d’argent pour payer ses couturières et ses dettes de jeu ; et aucun des intérêts passagers qu’elle prenait à telle ou telle chose, et qu’elle dignifiait du nom de goûts, n’était assez prononcé pour lui permettre de vivre satisfaite dans l’obscurité. Ah ! non : elle était trop intelligente pour ne pas être sincère envers elle-même. Elle savait qu’elle haïssait la médiocrité comme sa mère l’avait haïe, et jusqu’à son dernier soupir elle ne cesserait de lutter contre elle, remontant encore et toujours au-dessus du flot, jusqu’à ce qu’elle atteignît les brillants sommets qui présentaient une surface si glissante à ses doigts crispés.

IV


Le lendemain matin, sur le plateau de son petit déjeuner, miss Bart trouva un mot de son hôtesse :


Chère Lily,

Si cela ne vous ennuie pas trop de descendre vers dix heures, voulez-vous venir dans mon petit salon m’aider à quelques fastidieuses besognes ?


Lily jeta le billet de côté, et s’affaissa sur ses oreillers en soupirant. Oui, c’était ennuyeux de descendre à dix heures, — une heure que les hôtes de Bellomont assimilaient vaguement