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— Oh ! Lily… vous allez à Bellomont ? Alors vous ne pouvez pas me céder votre place, j’imagine ? Mais il me faut une place dans ce wagon… Conducteur, il faut que vous m’en trouviez une, tout de suite… Est-ce qu’on ne peut pas déplacer quelqu’un ? Je veux être avec mes amis… Oh ! bonjour, monsieur Gryce ! Je vous en prie, faites-lui comprendre qu’il me faut une place près de Lily et de vous.

Mrs. George Dorset, sans prendre garde aux efforts bénévoles d’un voyageur à valise de tapisserie qui faisait de son mieux pour lui céder la place en descendant du train, se tenait debout au milieu du passage, diffusant autour d’elle ce sentiment d’exaspération générale que crée assez souvent une jolie femme en voyage.

Elle était plus petite et plus mince que Lily Bart, avec une flexibilité agitée, — comme si elle avait pu se contracter et passer à travers une bague, pareille aux draperies sinueuses dont elle aimait à se parer. — Sa petite figure pâle semblait n’être que la monture de deux yeux sombres et agrandis, dont le regard visionnaire contrastait curieusement avec son ton et ses gestes très décidés, — en sorte que, selon la remarque d’un de ses amis, elle avait l’air d’un esprit désincarné qui occuperait beaucoup d’espace.

Ayant finalement découvert que la place à côté de miss Bart était disponible, elle s’en empara en dérangeant encore plusieurs personnes ; elle expliqua, ce faisant, qu’elle était arrivée de Mount Kisco, en auto, le matin même, et qu’elle venait de faire le pied de grue pendant une heure à Garrisons, sans même la consolation d’une cigarette, sa brute de mari ayant oublié de lui remplir son étui avant le départ.

— Et, à cette heure-ci, je ne pense pas qu’il vous en reste une seule, n’est-ce pas, Lily ? — acheva-t-elle d’une voix plaintive.

Miss Bart intercepta le regard étonné de M. Percy Gryce dont le tabac ne souillait jamais les lèvres.

— Quelle question absurde, Bertha ! — s’écria-t-elle, rougissant au souvenir de la provision de cigarettes qu’elle avait faite chez Lawrence Selden.

— Quoi ! vous ne fumez pas ? Depuis quand avez-vous renoncé ?… Quoi ! vous n’avez jamais ?… Et vous non plus,