Page:Revue de Paris - 1907 - tome 6.djvu/248

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette circonstance, son excursion mentale fut un coup d’œil jeté sur l’avenir de M. Gryce en tant qu’associé au sien.

Les Gryce étaient d’Albany, et nouveaux venus dans la Métropole ; la mère et le fils s’y étaient rendus après la mort du vieux Jefferson Gryce, pour prendre possession de sa maison de l’avenue Madison : une lugubre demeure, faite de pierre brune au dehors et de sombre noyer au dedans, avec la bibliothèque Gryce dans une annexe à l’épreuve du feu, qui ressemblait à un mausolée. Lily, du reste, savait tout ce qu’il y avait à savoir d’eux : l’arrivée du jeune M. Gryce avait fait tressaillir les seins des mères, à New-York, et, lorsqu’une jeune fille n’a plus de mère pour palpiter, à son sujet, force lui est bien d’être elle-même sur le qui-vive. C’est pourquoi non seulement Lily s’était arrangée pour se trouver sur le chemin du jeune homme, mais elle avait fait la connaissance de madame Gryce, une femme monumentale, avec l’organe d’un prédicateur et un esprit tourmenté par les iniquités de ses domestiques : elle venait quelquefois bavarder avec Mrs. Peniston et apprendre de cette dame comment elle parvenait à empêcher la fille de cuisine de faire sortir des provisions d’épicerie en contrebande. Mrs. Gryce avait une sorte de bienveillance impersonnelle : les cas de besoin individuel, elle les regardait d’un œil soupçonneux, mais elle souscrivait aux Œuvres dont les bulletins annuels proclamaient un majestueux excédent. Ses devoirs de maîtresse de maison étaient multiples et divers, — depuis les visites furtives aux chambres des domestiques jusqu’aux descentes inopinées à la cave ; — mais elle ne s’était jamais permis beaucoup de distractions. Une fois pourtant elle avait fait imprimer en rouge une édition spéciale du Sarum Rule[1] et en avait offert un exemplaire à tous les pasteurs du diocèse ; et l’album doré sur tranche dans lequel étaient collées leurs lettres de remerciements constituait le principal ornement de la table de son salon.

Percy avait été élevé selon les principes qu’une si excellente femme devait infailliblement inculquer. Toutes les variétés de la prudence et du soupçon avaient été greffées sur une nature d’elle-même hésitante et circonspecte, avec ce résultat que

  1. Rituel particulier à l’Église de Salisbury.