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— Non : très peu d’historiens sont en mesure de les acheter. Ils sont obligés d’avoir recours aux exemplaires des bibliothèques publiques ou des collections privées. Il semble bien que la rareté seule attire la moyenne des collectionneurs.

Il s’était assis sur un bras du fauteuil auprès duquel elle se tenait debout, et elle continuait à le questionner, lui demandant quels étaient les volumes les plus rares, si la collection Jefferson Gryce était réellement considérée comme la plus belle du monde, et quel était le plus gros prix qu’eût jamais atteint un volume isolé.

C’était si agréable d’être là, de la regarder tandis qu’elle prenait un livre, puis un autre, faisait voltiger les pages entre ses doigts, son profil penché se détachant sur le fond riche des vieilles reliures, qu’il continua de parler sans s’étonner de l’intérêt qu’elle manifestait subitement pour un sujet si peu suggestif. Mais il ne pouvait jamais rester longtemps avec elle sans chercher à découvrir un motif de ses actes, et, comme elle replaçait une première édition de La Bruyère et s’éloignait de la bibliothèque, il commença à se demander où elle voulait en venir.

La question qu’elle fit ensuite n’était pas de nature à l’éclairer. Elle s’arrêta devant lui avec un sourire qui semblait à la fois l’admettre en son intimité et lui rappeler les restrictions nécessaires.

— Est-ce que cela ne vous ennuie jamais, — demanda-t-elle soudain, — de ne pas être assez riche pour acheter tous les livres que vous voulez ?

Il suivait son regard qui faisait le tour de la pièce, du mobilier usé, des tentures passées.

— À qui le dites-vous !… Me prenez-vous pour un anachorète ?

— Et d’avoir à travailler… est-ce que cela vous ennuie ?

— Oh ! le travail en soi, n’a rien de fâcheux… J’aime assez le droit.

— Non… mais les attaches, la routine… est-ce que vous ne sentez jamais le désir de vous en aller, de voir des pays nouveaux, des gens nouveaux ?

— Si, terriblement… surtout au printemps quand je vois tous mes amis s’embarquer.