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LETTRES DE SAINTE-BEUVE

Victor Hugo répondit dès le lendemain :

« Ce 4 avril [1831].

» C’est moi, mon ami, qui veux aller vous voir, vous remercier, vous serrer la main. Votre lettre m’a causé une vive et réelle joie. Croyez, mon ami, du moins je l’éprouve, qu’on ne se défait pas si vite d’une vieille amitié comme la nôtre. Ce serait un profond malheur que de pouvoir vivre après la mort d’un si grand morceau de nous-mêmes.

» Victor Hugo.


» Vous viendrez dîner un de ces jours avec nous, n’est-ce pas ? »

Ce post-scriptum rouvrait à Sainte-Beuve la maison de Victor Hugo, et il est certain qu’il y retourna. Mais il partait, quelques jours après, pour un voyage en Belgique.

Il écrit de Bruxelles à Victor Hugo :


Bruxelles, ce 14 avril 1831.

Mon cher ami, j’ai beaucoup pensé à vous depuis mon départ de Paris ; je me suis rappelé quelle part vous avez toujours eue jusqu’ici dans tous mes voyages et dans toutes mes absences, lorsque je suis allé en Angleterre, lorsque je suis allé sur les bords du Rhin, ou en Normandie ; et j’ai senti avec une joie vive et profonde que vous occupiez encore en moi une large place, et que je tenais encore à vous par des liens que je n’ose dire aussi forts que ceux d’autrefois (quoiqu’ils le soient redevenus de mon côté et que j’espère que mes fautes ne les aient pas trop relâchés du vôtre) mais au moins par des liens qui ne se rompront plus puisqu’ils ont résisté à la plus redoutable épreuve. J’ai songé avec une joie sincère que j’étais encore votre ami, et que pourtant, après tout ce que j’avais fait d’insensé, d’aigre et de violent, j’avais mérité de ne plus l’être ; j’ai été heureux, je vous jure, de cette idée que je vous avais bien quitté et que je n’emportais pas un remords attaché à votre souvenir. Chaque tour gothique, chaque flèche d’église, chaque hôtel de ville que j’ai rencontré sur ma route n’a pas été pour moi un monument funèbre de