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LA REVUE DE PARIS

tuer, de vous assassiner par moments en vérité ; pardonnez-moi ces horribles mouvements. Mais pensez à ceci, vous que tant de pensées remplissent, pensez au vide que laisse une telle amitié. – Quoi ? pour jamais perdus. ! Je ne puis plus aller vous voir ; je ne remettrai plus les pieds sur votre seuil, c’est impossible ; mais ce n’est pas indifférence au moins. Ah ! ne prononcez pas, je vous en conjure, priez madame Hugo de ne jamais prononcer ce mot d’inconstance qui me revient de toutes parts. Inconstant avec vous, le pouvez-vous dire, hélas ! l’avez-vous donc oublié déjà, est-ce pour trop peu aimer que notre amitié cesse ; et n’est-ce pas un excès plutôt qui l’a tuée ? Je vous ai déjà expliqué mon inconstance en idées et d’où elle vient ; vous devez en être convaincu ; elle vient de cette poursuite éternelle du cœur à travers tout vers un seul et même objet qui soit un amour capable de remplir. Cet amour, Dieu m’est témoin que je l’ai cherché uniquement en vous, dans votre double amitié à madame Hugo et à vous, et que je n’ai commencé à me cabrer et à frémir que lorsque j’ai cru voir la fatale méprise de mon imagination et de mon cœur. Si donc je cesse brusquement et si je ne vous vois plus désormais, c’est que des amitiés comme celle qui était entre nous ne se tempèrent pas : elles vivent, ou on les tue. Que ferais-je désormais à votre foyer, quand j’ai mérité votre défiance, quand le soupçon se glisse entre nous, quand votre surveillance est inquiète et que madame Hugo ne peut effleurer mon regard sans avoir consulté le vôtre ? il faut bien se retirer alors et c’est une religion de s’abstenir. Vous avez eu la bonté de me prier de venir toujours comme par le passé ; mais c’était de votre part compassion et indulgence pour une faiblesse que vous pensiez soulager par cette marque d’attention ; je n’y puis consentir ; j’en éprouverais moi-même trop de torture, si, vous, vous en éprouviez seulement quelque gêne. Elle est donc tuée irréparablement, cette amitié qui fut de ma part un culte, il ne nous reste plus, mon ami, qu’à l’ensevelir avec autant de piété qu’il se peut. Je l’ensevelis dans mon cœur, comme je vous prie de faire dans le vôtre, comme je vous prie (soyez généreux) de dire à madame Hugo de faire dans le sien ; chez moi, il y aura toujours, quoi qu’il m’arrive désormais dans la vie, une pensée mélancolique et