Page:Revue de Paris - 1905 - tome 1.djvu/86

Cette page a été validée par deux contributeurs.
82
LA REVUE DE PARIS

tout qu’un salon il s’est dissous après une certaine durée, pour se refondre, nous l’espérons, en quelque chose de plus social et de plus grand. Les individus illustres sont assurés de retrouver leur place dans cette prochaine association de l’art vers laquelle convergent rapidement toutes les destinées de notre avenir…

» Ce pauvre Joseph ne verra rien de tout cela ; il n’était pas de force d’ailleurs à traverser ces diverses crises ; il s’était trop amolli dans ses propres larmes. Sans doute, vers la fin de sa carrière, il en était venu à chérir ses amis et à reconnaître Dieu ; mais c’était chez lui amitié domestique et religion presque mystique ; c’était une tendresse de solitaire pour quelques êtres absents et un mouvement de piété monacale vers le Dieu intérieur. Il aurait eu bien à faire pour arriver de là à l’intelligence et à l’amour de l’humanité progressive et à une communion pratique de l’âme individuelle avec Dieu se révélant par l’humanité. »

Victor Hugo lut l’article du Globe et, à l’instant même, interrompant son travail, il écrivit à Sainte-Beuve :

« Je viens de lire votre article sur vous-même et j’en ai pleuré. De grâce, mon ami, je vous en conjure, ne vous abandonnez pas ainsi. Songez aux amis que vous avez, à un surtout, à celui qui vous écrit ici. Vous savez ce que vous êtes pour lui, quelle confiance il a en vous pour le passé comme pour l’avenir. Vous savez que votre bonheur empoisonne à jamais le sien, parce qu’il a besoin de vous savoir heureux. Ne vous découragez donc pas. Ne faites pas fi de ce qui vous fait grand, de votre génie, de votre vie, de votre vertu. Songez que vous nous appartenez, et qu’il y a ici deux cœurs dont vous êtes toujours le plus constant et le plus cher entretien.

» Votre meilleur ami,


» v.

» Venez nous voir. »

Point de réponse écrite à cette lettre si bonne ; mais Sainte-Beuve, touché, alla nécessairement lui-même en remercier Victor Hugo. Il dut y avoir, ce jour-là, entre les deux amis, un épanchement suprême.

Hélas ! cet amour néfaste, que Victor Hugo avait d’abord voulu nier, il s’était imposé par sa persistance, il n’y avait plus à en méconnaître la cruelle réalité : celui qui en avait douté commençait trop lui-même à en souffrir ! Victor Hugo en parla donc à Sainte-Beuve, affectueusement, fraternellement ; il lui en parla au nom de sa femme et au sien ; il lui représenta doucement comme cet amour impie était funeste à leur amitié à tous trois, jusque-là si chaste et si