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LA REVUE DE PARIS

cette absence obstinée. – Oh ne me blâmez pas, mon cher ami ; gardez-moi, vous au moins, un souvenir, un, entier, aussi vif que jamais, impérissable, sur lequel je compte dans mon amertume. J’ai d’affreuses, de mauvaises pensées, des haines, des jalousies, de la misanthropie je ne puis plus pleurer ; j’analyse tout avec perfidie et une secrète aigreur. Quand on est ainsi, il faut se cacher, tâcher de s’apaiser ; laisser déposer son fiel, sans trop remuer le vase ; s’accuser devant soi-même, devant un ami comme vous, ainsi que je fais en ce moment. Ne me répondez pas, mon ami, ne m’invitez pas à vous aller voir ; je ne pourrais ; dites à madame Hugo qu’elle me plaigne et prie pour moi. – Mais surtout, n’est-ce pas ? croyez-moi le même, tout changé que je suis ; croyez, par miracle d’amitié, à ma présence dans ce qui vous est cher ; et ne me laissez pas mourir dans votre cœur. – Excusez toutes ces contradictions, sentez-les avec votre âme la plus tendre, et qu’il n’en soit pas question entre nous.

Adieu, à toujours.
Sainte-Beuve


Dans les premiers jours de juillet, Sainte-Beuve, excédé de souffrance, s’enfuit encore une fois de Paris et retourna chez Ulric Guttinguer.

La révolution de Juillet éclata, bouleversant bien des existences, agitant toutes les pensées ; pendant des semaines, la vie publique absorba tout et sembla tout suspendre. Cela n’avait pas empêche la petite Adèle de venir au monde, le 25 juillet, au bruit des premières fusillades ; cela n’empêcha pas madame Victor Hugo d’allaiter son quatrième nourrisson, – et cela n’empêchait pas Victor Hugo d’avoir avec un éditeur, pour Notre-Dame de Paris, des engagements qu’il fallait tenir sous peine de ruine : il s’enferma dans son cabinet le 1er septembre, se condamnant à n’en pas sortir qu’il n’eût fini, et se mit à l’œuvre.

Sainte-Beuve, dans tous ces jours-là, paraît s’être peu montré rue Jean-Goujon. Il écrit, le 14 septembre, à madame Victor Hugo :


ce mardi [14 septembre 1830.]

Madame, je ne vous vois, pas, ni Victor. J’ai si peu de temps, je suis si plein de mes maudites affaires, si peu digne vue