Page:Revue de Paris - 1905 - tome 1.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
LA REVUE DE PARIS

ceux qui, depuis quinze jours, ne vous voient plus du tout ? Je me pose ces questions un peu timidement ; je voudrais que vous eussiez quelques regrets et qu’il vous parût que quelque chose vous manque ; c’est bien égoïste, n’est-ce pas ? Mais vous me le pardonnerez ; je doute tant, non pas de mon amitié pour vous, non pas de votre bonté pour moi, mais de mon utilité, de ma valeur auprès de vous ; j’ai été si nul, si coupable dans tous ces derniers temps, si sottement irrégulier et fantasque, si préoccupé de moi-même en votre présence, que je conçois que j’ai dû bien perdre dans votre esprit ; blâmez-moi, accusez-en mon caractère, ma tête, mon peu de puissance à vouloir et à faire ; mais, je vous en prie, ne croyez à aucune froideur, à aucun éloignement de mon affection bien au contraire, elle s’est encore accrue, s’il était possible ; elle ne peut jamais diminuer. Quand je ne vous verrais plus, quand je serais jeté pour toujours à des centaines de lieues de vous sans même vous écrire, je n’en serais pas moins le même pour vous par le cœur, et votre pensée ne serait pas moins mon consolant recours, mon bon génie, ma meilleure action. Je vous demande pardon, madame, de m’exprimer avec cette sincérité d’épanchement ; mais quand le ferais-je, sinon maintenant qu’une nouvelle vie commence pour vous, et que je souffre en pensant qu’il se pourrait que je n’y obtinsse pas la même place que dans la précédente ? Victor, qui n’est qu’un avec vous, me le pardonnera aussi, j’ai une amitié inquiète et superstitieuse, il faut y savoir compatir.

J’ai passé un jour aux Hayons, terre de Guttinguer, séjour de calme, de silence et d’ombre ; puis quelques jours à Rouen, presque sans sortir de la maison excepté le soir avec ces demoiselles, bien aimables et distinguées d’esprit, l’aînée, triste et profondément rêveuse, la plus jeune, plus heureuse, plus enjouée ; j’ai revu pourtant la cathédrale et Saint-Ouen. Le Prévost n’y était pas, mais nous sommes allés avec Guttinguer au Parquet, campagne à quelques lieues, voir madame Ricard, amie intime de Le Prévost, qui la voit ou lui écrit tous les jours ; elle a déjà eu trois maris, et l’on pense que, sans la honte d’en avoir un quatrième, elle prendrait Le Prévost : elle est romantique comme on ne l’est pas à Paris ; assez d’esprit, mais maniérée, et puis vieille et laide avec du rouge.