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LETTRES DE SAINTE-BEUVE

cérémonie et lui demande d’aller à la même heure prier dans une église où ils se sont retrouvés plusieurs fois. Ceci rentre dans l’ordre mystique des promenades aux cimetières et des visites aux églises que nous avons signalées. – L’autre fait est moins sérieux encore. On avait fait, avec Châtillon et d’autres amis, une partie d’ânes dans la forêt de Montmorency. Il y avait un âne rétif dont personne ne voulait ; Victor Hugo, seul, avait prétendu qu’ayant dompté Pégase, il dompterait bien un âne. Mais l’âne, plus fougueux que le « cheval de gloire », avait vivement envoyé le poète s’étaler à quinze pas sur le sol. Madame Victor Hugo racontait cette déconfiture à Sainte-Beuve et, plaisantait agréablement son mari. Ce n’est pourtant pas bien méchant.

En somme, voici en quels termes M. Havard, qui ne nous démentira pas, résume l’impression générale qu’il a gardée des lettres de madame Victor Hugo : « rien des sens, rien du cœur ; tout était dans l’imagination. »

***

Nous terminons ici l’enquête, ou, si l’on veut, le plaidoyer, auquel nous avons été amené malgré nous pour défendre une mémoire chère et sacrée. Vraiment on devrait bien laisser dormir en paix les pauvres mortes ! celle-là surtout qui a été toute sa vie si indulgente et si bonne, celle que nous désignent, pour être bénie, ces vers :

Si, quand la diatribe autour d’un nom s’élance,
Vous voyez une femme écouter en silence,
Et douter, puis vous dire : – Attendons pour juger.
Quel est celui de nous qu’on ne pourrait charger ?
On est prompt à ternir les choses les plus belles.
La louange est sans pieds et le blâme a des ailes…

Pourquoi l’a-t-on accusée, elle qui n’a jamais accusé personne, elle qui ne croyait pas, qui ne voulait pas croire au mal ? Et encore, si le mal lui était prouvé, elle tâchait de l’excuser, et, si c’était impossible, elle le plaignait. Nous avons épargné à son calomniateur les reproches sanglants et les dures épithètes, parce que nous savons bien qu’elle-même, elle aurait pardonné à ce triste orgueilleux, à ce pauvre méchant.


gustave simon