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LETTRES DE SAINTE-BEUVE

prétention, plus tard, a été d’avoir été persécuté, et il a voulu devenir un homme sérieux, un citoyen, capitaine de la garde nationale, et qui ne plaisantait pas sur la consigne, un peu bretteur ou s’en donnant l’air, ayant fait une petite satire intitulée les Délateurs où il se posait en Tacite sous la Restauration. Mais, malgré tout, il ne put jamais se faire prendre très au sérieux. Il resta toujours le ci-devant gentil jeune homme. Je me rappelle qu’après son discours de réception à l’Académie, il arriva un matin chez madame Récamier avec ce discours roulé, attaché par un ruban rose, et, pour commencer, il baisa avec bruit les mains de la belle Juliette comme au plus beau temps du Consulat et de l’Empire. Dupaty, à l’Académie, faisait les délices de Nodier qui tous les jeudis soirs se plaisait à raconter toutes ses petites historiettes ridicules. Dans les dernières années ou plutôt pendant trente années durant, il ne cessa de faire un poème d’Isabelle qu’il ne devait jamais finir, mais dont il récitait des fragments à tous les candidats qui allaient lui demander sa voix.

Sûr d’être écouté par eux, il se mettait à leur réciter des tirades, étant encore quelquefois au lit, et avec un feu, une chaleur qui faisaient quelquefois monter le domestique. Il s’en rendait malade. Tout cela était d’un ridicule innocent.

Voilà bien des faux-fuyants et de la menue monnaie que je vous envoie, en attendant la date très précise que j’attends et que je vous dirai dès que je la saurai.

Je suis tout à vous de respect et de cœur, chère madame et amie.

Sainte-Beuve

Madame Victor Hugo, de passage à Paris, habite Auteuil pour quelque temps, elle demande sans doute à Sainte-Beuve de la venir voir. Il lui répond :

Ce 19 septembre [1864].
Chère madame et amie,

Je vous remercie de votre amical souvenir. En temps ordinaire, je ne suis pas un travailleur, je suis un mercenaire,