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LA REVUE DE PARIS

babilités, dût être invité, il désira que du moins sa femme ne manquât pas en un tel jour à un ami cher à tous deux. Elle partit donc pour Angers, accompagnée de son père, M. Foucher, convié par Victor Pavie, et de sa fille Léopoldine, alors âgée de onze ans et qu’elle ne pouvait laisser à Paris. Deux jours après elle, Sainte-Beuve arrivait, à son tour, à Angers. Elle en informait aussitôt son mari, et dans la même lettre elle lui disait :

« J’ai bien pensé à toi, mon bon cher Victor, je t’aurais voulu là près de moi. Comme j’ai senti ce vide ! C’était la première fois que je voyageais sans toi ! et l’impression a été bien pénible… » Et Victor Hugo lui répond aussitôt :

« … J’ai toute confiance en toi, à cette heure où je n’ai le cœur plein que d’amour et de dévouement pour toi et pour nos chers petits. »

Sainte-Beuve eut pour madame Victor Hugo les attentions les plus respectueuses et pour sa fille la plus tendre sollicitude. Il redevint le frère qu’il était autrefois. Elle le mande à son mari, et – voici la preuve d’innocence la plus forte qu’on puisse attendre d’une honnête femme – elle ajoute :

« Quand tu seras à Paris, je te prierai, mon ami, de lui écrire quelques lignes de remerciement pour ses soins[1]. »

Nous aurions bien mal réussi à donner une idée de ce qu’était la nature sincère et loyale de madame Victor Hugo si l’on supposait un instant qu’elle pût seulement admettre la rouerie de faire remercier son amant par son mari.

Quant à Victor Hugo, il avait assurément foi entière en sa femme. Pendant et après le séjour à Angers, voici quelques fragments des lettres qu’il lui écrivait[2] :
« 6 août… Je me suis promené toute la soirée sur la falaise. Oh ! c’est là qu’on sent des frémissements d’ailes. Si je n’avais mon nid à Paris, je m’élancerais. Mais tu es là et je reste. Et tant que tu seras là, mon ange, je resterai. Je suis donc pris pour la vie, mais j’aime la cage où tu es. »

« 13 août… Tu vois, mon Adèle, qu’aucune de ces belles et bonnes choses ne m’empêche pas de songer à toi. Tu es la plus belle des

  1. Inédit
  2. lettres publiées dans France et Belgique.