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des fractions ont eu à traverser des carrés de sorgho ; leur marche s’est poursuivie lentement, mais, n’étant pas aperçus, ces fantassins ont pu avancer à loisir et sans danger jusqu’à la lisière opposée du gaolian. D’autres, au contraire, ont franchi un espace nu en courant aussi vite que leurs courtes jambes le leur permettaient.

La marche continue ainsi par bonds successifs, avec des arrêts très longs pour reprendre haleine ; les hommes suivent le chef ; le chef choisit l’abri en avant et le cheminement à suivre pour s’y rendre. Souvent, profitant de couverts favorables situés en dehors de leur axe de marche, on voit des groupes obliquer à droite ou à gauche, prendre la même route qu’une fraction voisine et revenir ensuite à leur direction primitive. Aussi, dès le premier arrêt, le bel alignement du début est brisé ; bientôt on voit les demi-sections disséminées sur le glacis, les unes couchées, d’autres rampant, d’autres en pleine course. Les groupes se dépassent et se masquent mutuellement. Les neuf cents mètres à parcourir jusqu’aux défenses accessoires des Russes sont franchis de la sorte, et c’est là seulement que ce qui reste de la première ligne japonaise se reforme, à l’abri du talus de terre maladroitement élevé par les Russes pour protéger leurs fils de fer.

La formation — ou plutôt l’absence de formation — adoptée pendant cette marche a eu pour premier effet d’interdire complètement aux assaillants l’emploi du feu : les groupes de fantassins chevauchant les uns sur les autres s’interposaient entre leurs camarades et les Russes ; en tirant, on eut risqué de faire plus de mal à ses propres troupes qu’à l’ennemi ; d’ailleurs, les Russes, cachés derrière le parapet de leurs tranchées, n’offraient qu’un objectif difficile à apercevoir. Pour les viser convenablement, les Japonais auraient dû quitter eux-mêmes la position couchée, et cela au prix de pertes telles que le mouvement n’eut pas pu se poursuivre. Aussi toute l’attaque s’était exécutée sans faire usage du feu ; à la lettre, aucun coup de fusil n’avait été tiré par les fantassins japonais.

Lorsque la première ligne d’assaillants fut arrivée à moitié chemin de son objectif, la deuxième ligne quitta à son tour les tranchées où elle était restée abritée et se lança sur le