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LA REVUE DE PARIS

les législatures des États, au Congrès fédéral même, on devinait leur force toujours présente, veillant pour écarter toute législation capable de gêner leurs intérêts ; en 1894, ils avaient fait avorter la réforme douanière, et empêché les démocrates de réaliser la promesse qui, lors des élections précédentes, leur avait fait gagner la victoire. L’audace des trusts ne s’arrêtait même pas au seuil des tribunaux : plus d’une fois, ils avaient réussi à entraver l’exécution des lois. Leur quasi monopole leur permettait d’exercer un « contrôle » irrésistible sur les prix et les salaires : les classes ouvrières se demandaient s’ils ne parviendraient pas à paralyser, peut-être même à anéantir leurs syndicats. Aux élections de 1900, de même qu’à celles de 1896, le parti républicain, pour satisfaire aux exigences populaires, avait promis de prendre des mesures législatives contre ces abus.

Mais, depuis longtemps, le parti républicain a fait alliance avec les industriels et les financiers : il ne peut donc avoir en ces questions sa pleine liberté. Le président Mac Kinley, qu’absorbait d’ailleurs la guerre contre l’Espagne avec ses conséquences, avait négligé la question difficile des trusts. M. Roosevelt, avant son arrivée à la présidence, avait, avec sa véhémence accoutumée, soutenu la nécessité de lois fédérales pour réglementer la concentration industrielle. Aussi les financiers craignaient que, se laissant entraîner par son caractère, il ne soulevât contre les trusts un mouvement d’opinion qu’il serait peut-être impuissant à maîtriser et qui, sous prétexte de porter remède aux maux existant[1], pourrait les compliquer en déchaînant sur l’industrie tout entière une crise violente. Le premier message du Président dissipa ces craintes : il causa une déception profonde à ceux qui avaient espéré contre les trusts une vigoureuse campagne.

M. Roosevelt ne s’est pas départi de cette modération. Il ne s’est pas lassé de répéter que la complexité de l’industrie moderne exige que l’on n’y touche qu’avec une extrême prudence : la haine et la crainte ne sauraient être, pour étudier une question de cette nature, de sages conseillères ; on ne peut prohiber ni les contrats entre producteurs ni la concentration industrielle ; ce qu’il importe, c’est de les surveiller et de les contenir dans des limites raisonnables. Ce

  1. WS : existant-> existants