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question. — Ces choses bizarres qu’on appelle les yeux et qui existent pour creuser une agréable dépression dans le visage, sont, dans le cas de Nuñez, malades au point d’affecter son cerveau. Ils sont extrêmement distendus ; ils ont des poils et leurs paupières remuent : en conséquence, son cerveau est dans un état constant d’irritation et de distraction.

— Oui ! — répétait le vieux Yacob, — oui.

— Je crois pouvoir avancer avec une certitude raisonnable, que, pour obtenir une cure radicale, tout ce qu’il nous faut faire est une opération chirurgicale simple et facile : il ne s’agit que d’enlever ces corps irritants.

— Et alors, il sera sain ?

— Et alors il sera parfaitement sain et nous ferons de lui un citoyen admirable.

— Que Dieu soit béni de nous avoir donné la science ! — s’écria le vieux Yacob.

Et il partit aussitôt pour annoncer à Nuñez son heureux espoir.

Mais la façon dont Nuñez reçut cette bonne nouvelle lui parut froide et le désappointa.

— On croirait, d’après le ton que vous prenez, — dit le vieux, — que vous ne vous souciez guère de ma fille !


Ce fut Medina-Saroté qui persuada Nuñez d’affronter les chirurgiens aveugles.

— Oh ! c’est vous, — protestait Nuñez, — qui voulez que je renonce au don de la vue !

Elle hocha la tête.

— Mais mon univers, c’est la vue !

Elle baissa la tête davantage.

— Il existe tant de belles choses, de si belles petites choses !… les fleurs, les lichens, parmi les rocs ; les reflets et le chatoiement d’une fourrure ; le ciel profond avec son duvet de nuages, les couchers de soleil et les astres !… Et il y a vous. Pour vous seule, il est bon de posséder la vue, il est bon de voir votre visage doux et serein, vos lèvres bienveillantes, vos chères et jolies mains jointes… Ce sont mes yeux que vous avez séduits, mes yeux qui me lient à vous, et ce sont mes yeux que ces idiots veulent me prendre ! Au lieu de vous