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LETTRES DE SAINTE-BEUVE

infamies, que vos poésies politiques seront belles et flétrissantes ! Comme vous les foudroierez et broierez dans leur boue, ces barbouilleurs de lois, bientôt, bourreaux… Je sais que M. de Châteaubriand a écrit ab irato quelques pages qu’il ne pourra faire imprimer pour le quart d’heure, faute de journal et d’imprimeur, mais qu’on dit étincelantes de cette belle colère qui est un de ses bons côtés quand elle touche juste.

Béranger me disait avant-hier : la République était en grand danger le 6, mais, le 7, Louis-Philippe a sauvé la République.

J’aime cette unanimité des poètes contre nos hommes d’État politiques ; savez-vous qu’à ce signe-là seul un gouvernement est jugé quand il a vous, Châteaubriand, M. de Lammenais contre lui ? – Et aussi le second rang.

Je vous aime,
Sainte-Beuve

Et, le lendemain, Victor Hugo :

« 12 juin 1832.

» Je ne suis pas moins indigné que vous, mon cher ami, de ces misérables escamoteurs politiques qui font disparaître l’article 14 et qui se réservent la mise en état de siège dans le double fond de leur gobelet !

» J’espère qu’ils n’oseront pas jeter aux murs de Grenelle ces jeunes cervelles trop chaudes, mais si généreuses. Si les faiseurs d’ordre public essayaient d’une exécution politique, et que quatre hommes de cœur voulussent faire une émeute pour sauver les victimes, je serais le cinquième.

» Oui, c’est un triste, mais un beau sujet de poésie que toutes ces folies trempées de sang ! Nous aurons un jour une république, et quand elle viendra, elle sera bonne. Mais ne cueillons pas en mai le fruit qui ne sera mûr qu’en août. Sachons attendre. La république proclamée par la France en Europe, ce sera la couronne de nos cheveux blancs.

» … Adieu. Nous nous rencontrerons bientôt, j’espère. Je travaille beaucoup en ce moment. Je vous approuve de tout ce que vous ayez fait, en regrettant que la protestation n’ait pas paru. En tout cas, mon ami, maintenez ma signature près de la vôtre.

» Votre frère,
» Victor.»