Page:Revue de Paris - 1905 - tome 1.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
LA REVUE DE PARIS

dans le fond de leur village, où ils auraient appris à lire et à écrire du maître d’école de l’endroit, ils n’auraient été propres qu’à servir dans les emplois subalternes, tandis qu’on les a vu rivaliser de talent, de mérite et d’instruction avec tous ceux auxquels des parents plus fortunés avaient fait donner la plus brillante éducation.

Les professeurs de l’École militaire étaient, en général, des gens du plus grand mérite : MM. Lepaute d’Agelet, Legendre, Lacroix, Labbé, Beaujée, Domairon étaient du nombre. Si l’instruction de leurs élèves n’a pas été poussée aussi loin qu’elle pouvait l’être, j’en ai dit la raison : le défaut d’émulation. Cette raison était donc indépendante de leur mérite et de leur volonté. Par une bizarrerie fort extraordinaire, le professeur de la classe du génie, qui aurait dû être un homme du premier mérite, était au contraire un ignorant qui n’aurait pas été reçu s’il se fût présenté à l’examen avec ses élèves, et cependant il est sorti de chez lui des sujets très forts. C’est qu’il y avait, parmi les jeunes gens, une tradition plus ancienne que lui, que l’on se transmettait les uns aux autres, et que d’ailleurs l’élève qui est assuré que le maître lui lèvera la difficulté qu’il rencontre s’occupe peu de la résoudre, tandis que celui qui est privé de ce secours est obligé de travailler de lui-même et de se former davantage.

Mais, de tous, le plus extraordinaire en son genre était, sans contredit, le professeur d’histoire Léguille. Doué de la mémoire la plus heureuse, de l’élocution la plus facile, il racontait l’histoire à ses élèves avec une grâce, une facilité, je dirai même un charme, qui captivait souvent pendant une heure et demie l’attention la plus soutenue de ses jeunes élèves. Quelquefois, sans doute lorsqu’il n’avait pas eu le temps de préparer la leçon ordinaire, il comparait les circonstances d’alors avec celles qui avaient eu lieu à différentes époques de notre histoire. Il nous indiquait les causes générales de la prospérité, de l’accroissement, de la décadence des gouvernements et des empires. D’autres fois il nous donnait des règles de conduite dans le monde, dans les circonstances difficiles de la vie, et, toujours, il nous intéressait vivement. Nous touchions à cette époque au commencement de la Révolution : les deux assemblées des notables avaient fait décider