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LA RÉFORME TUNISIENNE

Chambre de commerce et le Résident. La Chambre avait pour elle qu’elle était le seul corps élu du pays et que, d’ailleurs, l’élément commercial constituant presque à lui seul toute la population française, elle représentait, autant que faire se pouvait, la colonie. Elle finit par avoir raison du Résident à force d’habileté patiente et de ténacité. Cette victoire marqua l’entrée en scène de la colonie, revendiquant – et obtenant – des droits, exerçant en fait une action directe sur les affaires publiques.

Mais à côté de cet élément commercial qui préexistait à la conquête, une autre catégorie survenait, riche, puissante. Ruinés ou menacés par le phylloxéra, les gros viticulteurs français se jetaient sur la Tunisie comme, vingt ans auparavant, s’étaient jetées sur l’Algérie les victimes de l’oïdium. Et comme le Protectorat, pacifique et incontesté, garantissait à la Tunisie la paix et la sécurité, les capitaux affluèrent. Pour l’acquisition de grands domaines et la création d’immenses vignobles, près de deux cent millions d’argent français, en moins de deux ans, passèrent la mer. Ces nouveaux venus n’étaient pas les premiers venus, tant s’en faut : appartenant tous à l’une des quatre ou cinq aristocraties qui se disputent, en France, le haut du pavé, ils entendaient que l’on comptât avec eux. L’importance de leurs domaines, la supériorité toute puissante de leur richesse sur la misère arabe donnaient à leur situation quelque chose de seigneurial. Parmi ces puissants, figuraient des sociétés de grande envergure : l’Enfida, l’Oued-Zarga, etc. Leurs intérêts communs, – et surtout la préoccupation de défendre le vignoble tunisien contre l’invasion possible du phylloxéra, – les rapprochèrent dès le premier jour et les firent se grouper en syndicats. À côté de l’ordre ancien du commerce, naquit un ordre nouveau qui revendiqua et bientôt obtint une supériorité sur le commerce lui-même.

Dès lors il fallut modifier l’institution primitive du Protectorat. L’œuvre diplomatique, déjà faite aux trois quarts, se poursuivait sans efforts, et, pour ainsi dire, toute seule. L’œuvre administrative, au contraire, commençait, de jour en jour plus épineuse : les difficultés intérieures surgissaient, se multipliaient. Les intérêts nouveaux entraient en lutte ; des