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LA REVUE DE PARIS

certa à ce point que je n’osai dire un seul mot. Tous ceux que j’avais gagnés, voyant ma confusion et les sourires sur les lèvres des autres, se rangèrent de leur bord, et le protégé de Bonaparte fut nommé par acclamation. Cet individu était Chassepot de Chapelaine qui depuis, je crois, a été nommé préfet ou sous-préfet dans le Midi.

On a dit que le véritable nom de baptême de Bonaparte était Nicolas, mais qu’il l’avait changé en celui de Napoléon, comme plus distingué et plus rare. Je ne puis nier précisément le fait, mais j’ai conservé l’impression que son nom de baptême était inconnu dans le calendrier français et avait quelque chose d’extraordinaire. Voici d’où elle m’est venue. Ma mère était venue me voir à Brienne ; on prononça devant elle ce nom : « Eh ! qu’est-ce que ce saint ? s’écria-t-elle. C’est sans doute, dit le principal du collège qui l’accompagnait, quelque saint d’Italie » il est donc évident que ce nom ne pouvait être Nicolas.

Le chevalier de Reynaud, qui avait, en 1783, succédé à M. de Keralio dans la place d’inspecteur des Écoles militaires me choisit dans son inspection de 1784 pour entrer à l’École militaire de Paris, avec quatre autres élèves : Bonaparte, Montarby, actuellement colonel du régiment de la Martinique (1820) ; Comminges, depuis receveur de l’octroi à Reims ; Laugier, qui a été tué en duel au corps de Condé. Nous partîmes de Brienne, en deux voitures, le 17 octobre 1784 et nous prîmes le coche d’eau à Nogent. Bonaparte débarqua la première fois à Paris, au port Saint-Paul, le 21, et le 22 nous fûmes menés par les deux moines qui nous accompagnaient à l’École militaire[1].

L’un des deux moines était le sous-principal Berton et le second le fameux Patrault, qui, depuis, a joué un si grand rôle dans les spoliations de l’Italie. Il était alors prêtre minime et noire professeur de mathématiques. Grand, mince, sec, presque décharné, le dos très voûté, décelant, par une toux sèche et fréquente, une poitrine fatiguée, il semblait ne pas devoir vivre encore quelques années. On l’a vu depuis marié,

  1. Les dates des 17 et 21 octobre 1784 ont souvent été contestées. Le récit de de Castres, par sa précision, les confirme et les fixe définitivement.