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SOUVENIRS DE BRIENNE

le milieu de l’année 1780[1]. Comme on était à la fin des cours, je fis peu de progrès jusqu’à la rentrée des vacances, mais l’année suivante, je tombai sur un excellent professeur de septième : comme j’avais beaucoup de mémoire et que j’apprenais facilement, il s’attacha à moi et me fit faire des progrès rapides dans le latin, en même temps que ma facilité à calculer me mettait aux premiers rangs dans la classe d’arithmétique. En sortant de septième, je me trouvai assez fort pour entrer en cinquième où j’eus le même maître que l’année précédente ; de cinquième, je sautai encore une classe et passai en troisième. Les deux premières années, j’avais eu tous les prix de ma classe, mais cette troisième, je n’eus que les accessits, parce que je rencontrai un concurrent dans la personne de Bourrienne qui, depuis son entrée à l’École, était en possession d’enlever les prix de toutes ses classes. Je me trouvai encore avec lui en seconde et je jouai le même rôle, ayant eu pendant toute l’année la seconde place dans les compositions[2].

À l’entrée des vacances, il y avait chaque année un examen public ; à celui de 1784, j’expliquai toutes les odes d’Horace et le premier volume de Tite-Live. Je présentai encore l’arithmétique, l’algèbre jusqu’aux équations du troisième degré, la géométrie, la trigonométrie et les sections coniques, mais je ne savais réellement bien de ces derniers que la parabole et l’ellipse. J’exposai aussi quelques dessins de fortification et je répondis sur les éléments de cet art ; j’avais alors treize ans et demi. Je me trouvai à l’École de Brienne avec Bonaparte. On a écrit tant de sottises et de mensonges sur les premières années de cet homme extraordinaire que je crois devoir dire ici ce que j’en sais. Il parlait à peine français en arrivant, et pour cette raison on lui donna un maître particulier de français, le Père Dupuis, qu’il plaça depuis à la Malmaison. On jugea que c’était assez pour lui d’avoir une langue à apprendre, et qu’il

  1. Les preuves de noblesse devaient être faites par devant d’Hozier de Serigny, généalogiste et historiographe des ordres du Roi. Présenter, comme on disait, quatre degrés du côté du père, telle était la règle absolue, stricte, inviolable. Chuquet, la Jeunesse de Napoléon, p. 82.
  2. Bourrienne, dans ses Mémoires, ne fait aucune allusion à cette rivalité scolaire, et Villemarest qui les publia s’est même trompé sur le nom de De Castres, qu’il appelle de Castries.