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LA REVUE DE PARIS

beaucoup d’habileté les plus mauvaises écritures : mon maître d’école avait plusieurs liasses de vieux titres, de vieux procès, tous plus illisiblement écrits les uns que les autres ; il me les avait fait déchiffrer tous, de sorte que, dans le courant de ma vie, je n’ai rien rencontré que je n’aie pu lire. Plus tard, ayant appris l’allemand, il m’est arrivé plusieurs fois de mieux déchiffrer les plus vilaines écritures allemandes que les Allemands mêmes. J’eus beaucoup de peine à apprendre a écrire, et je me rappelle a ce sujet une anecdote qui, plus que tous les mauvais traitements qu’il avait fait éprouver à ma mère et à moi, me fit prendre M. Desaulnois en aversion.

Le comte Du Hamel, voyant que je ne faisais aucun progrès dans l’écriture, l’avait prié de m’écrire et de me gronder fort de ma négligence. M. Desaulnois crut devoir accourir lui-même et il déclara au papa Du Hamel, — car c’est ainsi que ma mère, moi et presque toutes les dames et les jeunes gens des environs l’appelaient, à cause de sa bonté, — qu’il allait m’emmener à Lignon pendant quinze jours, et qu’il m’y traiterait de manière à me faire venir le talent de l’écriture. Il m’emmena donc en croupe derrière lui, et me tint si bien parole qu’avant que les quinze jours fussent expirés, à force de coups et de mauvais traitements, il m’avait donné la fièvre. Heureusement que mon vieux maître de pension, qui m’aimait comme son fils, ennuyé de ne pas me voir depuis dix ou douze jours, fit trois lieues à pied pour me visiter. J’étais au lit, malade, et je lui montrai les cicatrices et les croûtes que les coups de fouet de M. Desaulnois m’avaient laissées sur les cuisses. Le bonhomme, de retour à Saint-Remy, fit au comte Du Hamel une telle peinture de ma position que, dès le lendemain, il envoya une berline à quatre chevaux pour me ramener. La fièvre me quitta dans la voiture, à une demi-lieue de Lignon, et elle n’a jamais reparu.

Les deux seules choses dont je me rappelle, pendant mon séjour de Saint-Remy, sont les deux réjouissances et les feux de joie qui eurent lieu au sujet des naissances de madame la duchesse d’Angoulême et du premier Dauphin.

Le comte Du Hamel ayant obtenu pour moi une place à l’École militaire, et fait toutes les démarches que la preuve de noblesse à faire exigeaient, j’entrai à celle de Brienne, vers