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LA REVUE DE PARIS

Et voici la lettre amère, irritée, plaintive, violente, souffrante, écrite en lignes inégales, d’une écriture rapide et comme saccadée, que, cinq ou six jours avant la première représentation, il faisait porter à Victor Hugo :


[Février 1830.]


Mon cher ami, vous avez lu ce matin la lettre de Véron. Eh bien ! je viens de lui répondre que je ne ferai pas l’article Hernani dans la Revue, ni rien désormais. Vous n’en pouvez croire vos yeux ; mais cela est bien vrai. – Pour raison, je pourrais bien vous dire que ce sont de malhonnêtes gens qui nous veulent pour dupes, et qu’on se doit à soi-même de ne pas jouer entre leurs doigts comme des marionnettes ; voilà la seconde fois que j’écris à Véron que je ne mettrai plus un mot dans sa Revue. Et ce serait trop de plaisir pour lui de me reprendre deux fois au même leurre. Mais il ne s’agit pas ici de cela, et pour vous, mon cher ami, je consentirais à tout, même au ridicule. – Mais je vous dirai la vraie raison ; il m’est impossible de faire dans ce moment-ci un article sur Hernani qui ne soit détestable de forme comme de fond. Je suis blasé sur Hernani ; je ne sais plus qu’une chose, c’est que c’est une œuvre admirable ; pourquoi, comment, je ne m’en rends plus compte. Quant au reste de la question, celle du public, celle de l’art, je vois tout en noir, aussi noir que possible.

Je crois qu’il n’y a pas à espérer de faire adorer l’art en place publique et que c’est s’exposer à des avanies. Votre affaire personnelle (et c’est ce qui me console un peu) est sauve après tout ; cette lutte que vous entamez, quelle qu’en soit l’issue, vous assure une gloire immense. C’est comme Napoléon ; mais ne tentez-vous pas, comme Napoléon, une œuvre impossible ? En vérité, à voir ce qui arrive depuis quelque temps, votre vie à jamais en proie à tous, votre loisir perdu, les redoublements de la haine, les vieilles et nobles amitiés qui s’en vont, les sots ou les fous qui les remplacent, à voir vos rides et vos nuages au front qui ne viennent pas seulement du travail des grandes pensées, je ne