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LETTRES DE SAINTE-BEUVE

la très belle scène de Francis et de Cromwell au troisième acte. Oui, quand même Francis, à l’âge de quinze ans, n’eût pas été sans avoir appris (ce qui est, plus j’y pense, invraisemblable) la part que son père avait prise, sinon à la mort de Charles, du moins à sa chute, quand elle n’eût pas trop ingénument supposé que s’il faisait un roi, ce ne pouvait être qu’un Stuart ou au pis aller un Bourbon, je crois fermement que la scène eût conservé toutes ses admirables beautés — oui, toutes, — elle pouvait ignorer assez de choses encore pour désoler son père, pour l’aimer, pour le forcer à l’éloigner de lui, afin de conserver au moins un être qui le crût bon et pût le chérir. Sans doute la part à faire entre ce qu’elle devait savoir et ce qu’elle pouvait ignorer était délicate, peut-être fallait-il la laisser plus indécise que vous ne l’avez fait ; un voile si léger, un nuage si douteux suffit pour abuser l’innocence, même quand tout est sous ses yeux ! Oui, Francis pouvait encore savoir bien des choses, et toujours aimer son père. Sous le même rapport, dans une scène bien différente, celle du quatrième acte où Cromwell en faction cause avec Murray, je vous reprocherais d’avoir poussé trop loin la comparaison que fait Murray de Cromwell avec le soldat prétendu. La scène, sans cet effet poussé trop loin, n’eût pas moins pu être fort comique. Je suis bien impertinent de vous assaillir ainsi de mes critiques, vous qui m’avez accablé de vos beautés ; c’est de ma part une triste revanche. Encore un mot pourtant sur votre style. Il est bien beau, surtout dans la partie sérieuse du drame. Dans le reste, il n’est pas toujours exempt d’images un peu saillantes, trop multipliées et quelquefois étranges. Au reste, voici comment je m’explique en partie la chose. — Vous tenez avec grande raison à une rime riche. Souvent il n’existe pas entre les mots qui riment richement avec la fin du premier vers et le sens de ce vers de rapport naturel, rationnel, philosophique. Que faites-vous alors, sans doute à votre insu ? Vous proposez à votre imagination l’espèce de problème suivant : trouver une métaphore qui lie au figuré le mot, qui rime bien, avec le sens de la pensée. De là un surcroît de métaphores qui ne se seraient pas présentées naturellement à l’imagination, mais que celle-ci produit par provocation, et comme à l’appel du coup de