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LETTRES DE SAINTE-BEUVE

C’est pour un tel bonheur, dès l’enfance rêvé,
Que j’ai longtemps souffert et que j’ai tout bravé !
Dans nos temps de fureurs civiles
Je te dois une paix que rien ne peut troubler.
Plus de vide en mes jours ! Pour moi tu sais peupler
Tous les déserts, même les villes.

Ainsi continuait leur idylle ; pas de changement dans leur bonheur, sinon qu’il s’éclairait maintenant d’un rayon de gloire. Cinq ans avaient passé, trois enfants étaient nés, l’époux n’avait pas cessé d’être l’amant. Pas un nuage n’avait traversé leur azur pas un désaccord n’avait troublé leur doux paradis au troisième étage.

II

« JOSEPH DELORME »

Au mois de janvier 1827, Victor Hugo lut, dans le journal le Globe, deux articles, signés de simples initiales, qui rendaient compte de son édition nouvelle des Odes et Ballades. Le Globe, journal libéral, dirigé par M. Dubois, que connaissait bien Victor Hugo, n’était nullement hostile à l’école qui bataillait de son côté pour la liberté dans l’art. On venait d’y attaquer quelque peu Cinq-Mars, le roman récent d’Alfred de Vigny ; mais les deux articles sur les Odes et Ballades, s’ils n’étaient pas sans réserves, étaient écrits « dans un assez vif sentiment de sympathie et de haute estime ». — C’est dans ces termes qu’en parle l’auteur lui-même, étant de ceux qui se défendent toujours de la simple admiration.

Ce qui dut surtout toucher Victor Hugo, ce fut sans doute ce passage du dernier article :

« Qu’on imagine à plaisir tout ce qu’il y a de plus pur dans l’amour, de plus chaste dans l’hymen, de plus sacré dans l’union des âmes sous l’œil de Dieu, qu’on rêve, en un mot, la volupté ravie au ciel sur l’aile de la prière, et l’on n’aura rien imaginé que ne réalise et n’efface encore M. Hugo dans les pièces délicieuses intitulées Encore à toi et Son Nom ; les citer seulement, c’est presque en ternir déjà la pudique délicatesse… »

Victor Hugo alla au Globe remercier M. Dubois et lui demanda le nom et l’adresse de l’auteur de ces articles pour le remercier à son tour. Le critique était un jeune homme de talent appelé Sainte-Beuve ; il demeurait au numéro 94 de la rue de Vaugirard. Or