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LA REVUE DE PARIS

pense qu’avec un grand abattement aux quatorze lieues qui me séparent déjà de toi, aux huit heures que je viens de passer sans toi. Que sera-ce donc demain ? que sera-ce après-demain ? et après ? et après ? Vraiment, mon Adèle, ma bien-aimée Adèle, prie Dieu qu’il me donne du courage : j’en ai besoin, et ces quinze jours me font l’effet de l’éternité… »

Et quand il est arrivé à Paris :

« …Sais-tu qu’il y a quatre jours et trois nuits que nous sommes séparés ? Que le temps est long ! et qu’il me tarde de savoir ce que tu fais depuis l’éternité que je ne t’ai vue ! Comme tout est désert autour de moi, maintenant que tu n’es plus là ! Quelle force nous avons eue, chère aimée, et quelle force il nous faut encore ! »

Les lettres qui suivent sont presque toutes sur ce ton. Il n’y faut pas chercher beaucoup de descriptions et de récits, pas même le récit de la cérémonie du sacre : Adèle, les réponses d’Adèle, le souvenir d’Adèle y tiennent à peu près toute la place.

Le voyage de Reims fut suivi, dans l’automne de cette même année 1825, d’un autre voyage, mais celui-là heureux sans mélange ; sa femme accompagnait le poète, avec son enfant. Ils allèrent ainsi dans les Alpes avec leur ami Charles Nodier et sa famille ; ils s’arrêtèrent à Saint-Point pour faire visite à Lamartine. Tout cela ne fut pour lui et elle qu’une longue fête : ils étaient ensemble !

L’année 1826 fut marquée pour Victor Hugo par la publication Bug-Jargal et d’un troisième volume d’Odes et par la naissance, en novembre, de son fils Charles, qu’Adèle allaita comme sa fille.

Son nouveau livre de poésies, encore en progrès sur les autres, leur ressemblait pourtant d’une certaine manière c’est que l’image et la pensée de l’aimée continuaient d’y revenir, ou plutôt d’y planer. Le poète rappelle, dans le Voyage sa récente douleur de l’absence :

Que faire maintenant de toutes mes pensées,
De mon front qui dormait dans tes mains enlacées,
De tout ce que j’entends, de tout ce que je vois ?
Que faire de mes maux, sans toi pleins d’amertume,
De mes yeux dont la flamme à tes regards s’allume,
De ma voix qui ne sait parler qu’après ta voix ?

Dans la Promenade, il va aux champs avec elle, il marche « dans son rêve étoilé »

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Qu’il est doux près de toi d’errer libre d’ennuis,
Quand tu mêles, pensive, à la brise des nuits
Le parfum de ta douce haleine !