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LA REVUE DE PARIS

Le chant d’un chœur lointain, le soupir qu’à l’aurore
Rendait le fabuleux Memnon,
Le murmure d’un son qui tremble et s’évapore,
Tout ce que la pensée a de plus doux encore,
Ô lyre, est moins doux que son nom !

Les Nouvelles Odes parurent en février 1824. Elles avaient, comme les premières, une préface qui pouvait passer pour une préface de combat. L’école « romantique » — bien que Victor Hugo répudiât le mot — commençait à se prononcer contre l’école dite « classique », et, dans cette lutte de la vérité contre la convention, ses programmes, en même temps modestes et fiers, faisaient de l’auteur l’un des chefs de la jeunesse. Dès ce temps-là fréquentaient chez lui les poètes et les artistes déjà célèbres, Lamartine, Alfred de Vigny, Émile et Antony Deschamps ; le statuaire David d’Angers, les peintres Louis Boulanger, Eugène et Achille Devéria, quelquefois Eugène Delacroix et l’architecte Robelin. On discutait, on disputait art, poésie, critique, même théâtre ; on se lisait les vers qu’on venait d’achever ; on se conseillait, on se critiquait, on s’applaudissait et, pour finir en gaieté, on daubait sur les « perruques ». Le grand enthousiasme, c’était dans le moment l’architecture gothique, que les classiques détestaient ; le grand amour, pour ces chercheurs de la vérité, c’était la nature. Les soirs d’été, leur récréation et leur joie, c’était de partir, de s’en aller en bande : ils passaient la barrière, alors très proche, ils gagnaient quelque colline propice, et, là, ils regardaient les couchers de soleil. Le dimanche, ils aimaient à se retrouver, dans les mêmes parages, à une guinguette qu’avait découverte Robelin ; ils dînaient bruyamment ensemble en plein air, à une table de bois mal équarri, puis se rendaient, après le repas, à un bouquet de bois voisin, s’étendaient sur l’herbe et reprenaient sous les étoiles leur causerie de littérature et d’art en écoutant fredonner au loin

Les vagues violons de la mère Saguet.

Adèle Hugo, fêtée, admirée, honorée, était la grâce et le charme de ces réunions fraternelles. On était habitué à la voir sans cesse à côté du poète. Elle était là quand il travaillait, elle était là quand il recevait un ami. Elle parlait peu, elle écoutait beaucoup. Élevée dans un milieu bourgeois et assez rétréci, elle avait du moins cette science de se savoir ignorante ; mais, docile et attentive à son mari, suspendue à son bras, suspendue à ses lèvres, elle refaisait avec son cœur l’éducation de son esprit.

Au mois de juillet 1824, il leur était venu un autre enfant, une petite fille, qu’on avait appelée Léopoldine, du nom de son grand-père. Oh ! celle-là, il ne fallait pas la perdre ! La jeune mère avait résolu